Les sorties de la semaine

lundi 26 octobre 2020

Adieu les cons



Synopsis :

Suze a été diagnostiquée d'une maladie incurable. Sa dernière volonté; revoir son fils qu'elle a eu quand elle avait 15 ans et qu'elle a dû abandonner sous X. Dans sa quête, elle fait la connaissance de Jean-Baptiste, un vieux prodige de l'informatique déconsidéré par sa direction... 

Commentaire

Du cinéma visuel 

Albert Dupontel possède une réelle patte visuelle, ce qui le distingue immédiatement du reste du cinéma comique français. Tous les plans ont un traitement particulier; dans la composition du cadre, dans la colorimétrie, par les nombreux mouvements de caméra. Il ne s'agit pas de surperflu, rien n'est gratuit ; le plan zénithal au dessus du rond-point en travelling arrière marque l'isolement de JB à un moment de sa vie où le monde est contre lui, la teinte jaune de la scène en banlieue renvoie à la nostalgie du passé à la manière de Jean-Pierre Jeunet, le plan de Suze à travers le plan (la carte) de la préfecture montre son emprisonnement dans la bureaucratie etc. Rajoutons un travail sur les transitions et sur les reflets, et nous obtenons un véritable bijou en terme de réalisation. Pour narrer sa fable, Dupontel a également recours aux images de synthèse (toujours rares dans le cinéma français) pour représenter un monde connecté et écrasant ; une ville folle dans une volonté presque expressionniste. Le choix du numérique pour représenter la ville témoigne d'une réelle vision, d'un souci de transformer le réel pour le rendre plus compréhensible. Le montage est également pensé. Il est rythmé, ce qui correspond bien au genre burlesque et à la volonté du réalisateur de distraire, tout autant que de pousser à la réflexion. Car le burlesque et les gags ici dénoncent la folie d'un système qui fonctionne sans considération pour l'humain. 

L'humain broyé par la bureaucratie 

Les trois protagonistes sont écrasés par le système: Suze tombe mortellement malade à la suite de son travail, JB veut mettre fin à ses jours à cause de l'humiliation qu'il a subi par sa hiérarchie, et M. Blin a perdu la vue dans l'exercice de son travail à cause de la police. Ce sont tous trois des personnages rendus inaptes : une mourante, un (probable) autiste asperber dépressif (JB) et un aveugle. Le choix est restreint dans le film, soit l'Homme s'abrutit à la tâche (comme le fonctionnaire incapable de répondre à Suze, ou le Palmashow à la préfecture) et/ou devient un clone dans le monde du privé (à l'image de tous ces travailleurs, dont le fils de Suze, dans un quartier évoquant la Défense), soit il sort du système et est broyé par celui-ci. L'intérêt du film est qu'il montre des personnages qui n'ont pas fait le choix de sortir du système / de la société. C'est le monde de travail qui les a rendu improductifs et qui les marginalise. Paradoxe puisque le monde du travail veut du productif mais du productif jeune, même s'il est moins compétent. Il est amusant de remarquer que Suze et JB n'ont pourtant rien à avoir, ils ont même un profil diamétralement opposé. Toutefois tous deux s'éloignent de la norme pour se rejoindre dans la marge. JB est trop rigoureux, rationnel et efficace pour le système alors que Suze est trop vieux jeu pour celui-ci (elle n'est même pas numérisée). Pour la machine bureaucratique, il faut correspondre exactement au profil recherché, un profil médian duquel il ne faut pas s'éloigner. Il n'est alors pas étonnant d'entendre Dupontel en interview dénoncer le formatage des individus par la société et ses institutions dans le but de produire les consommateurs parfaits du monde libéral. 

En définitive, Albert Dupontel redonne du souffle à la comédie française dans une période où le cinéma national peine à attirer des spectateurs alors que Hollywood reste confiné. Adieu les cons est un drame burlesque à la mise en scène très soignée et dont les gags dénoncent l'absurdité d'un système qui oublie l'humain. 




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dimanche 6 septembre 2020

Les Nouveaux Mutants


Synopsis : 

Dani, une indienne cheyenne se réveille dans un hopital après une catastrophe ayant touché sa réserve. Le doctor Reyes lui révèle alors qu'elle est une mutante et qu'elle n'est pas la seule dans cet hôpital...


Commentaire : 

Croiser les genres, la mise en scène horrifique [spoilers]

Josh Boone s'inscrit dans la politique de la Fox (avant le rachat par Disney) en rénovant audacieusement le genre du super-héros avec d'autres inspirations (Logan s'inspirait du genre du road movie). Les Nouveaux Mutants est un film d'épouvante tout autant qu'un film de super-héros. Cela est particulièrement identifiable à l'ambiance du film, avec par exemple le choix de l'hôpital (proche de l'asile ici) pour environnement principal de l'histoire, ce qui est tout l'inverse de l'école rassurante de Charles Xavier. Il s'agit par ailleurs quasiment d'un huit-clos, qui est souvent aussi la caractéristique du film d'horreur, les victimes ne pouvant échapper à la puissance nuisible. La musique angoissante de Mark Snow, outil essentiel et reconnaissable du film d'horreur, contribue à donner cet aspet au film. Les jump scares sont également utilisés, ces derniers étant le marqueur phare de la réalisation liée à l'horreur. L'impératif de ne pas montrer la menace est en général ce qui invite le plus à l'originalité dans la mise en scène, c'est ainsi que le film d'horreur est souvent intéressant pour sa réalisation. Pour autant, le hors-champ n'est pas tant utilisé, peut-être parce-qu'il était jugé trop angoissant pour un film classifié PG 13, mais reste présent pour certaines scènes, comme pour l'ours démon pendant une partie du film ou la main calcinée se posant dans le dos de Roberto.  La menace est parfois également présente dans le champ mais invisible, soit au sens propre, soit dissimulée ou de dos (les hommes à masque). A noter que toutes les scènes horrifiques, certaines impressionnantes (et visibles dans les bandes-annonces) ne sont pas présentes dans le montage final.
Ainsi, l'avantage du choix de l'épouvante est que Les Nouveaux Mutants présente une réalisation singulière et travaillée pour un film de super-héros, tout en n'oubliant pas l'action pure, faite de CGI dans l'acte final. De plus, soulignons un travail sur l'interfilmicité (les références entre oeuvres) puisque les actions à venir dans le film sont souvent annoncées par une citation dans la télévision que regarde les adolescents, à la manière de Joe Dante, cinéaste adepte de l'horreur. 

Un scénario classique [spoilers]

Le scénario s'autorise quelques facilités d'écriture donnant par exemple l'impression que l'ensemble des personnages se découvre après l'arrivée de Dani (Roberto ignorant l'histoire de Sam, l'attirance naissante entre Roberto et Illyanna) alors que les adolescents se côtoyaient depuis quelque temps. Toutefois, l'ensemble fonctionne plutôt bien si ce n'est ces relations qui auraient dû être amorcées en amont. L'antagoniste Reyes est plutôt intéressante puisqu'elle n'est pas foncièrement méchante, quoiqu'il aurait été intéressant qu'elle se questionne plus sur les ordres qu'elle reçoit. Cela aurait permis d'étoffer le personnage et de renforcer sa crédibilité vis-à-vis du spectateur qui aurait alors été dans un dilemme moral. 

Les X-Mens et les multiples thématiques [spoilers]

Les films X-Mens ont toujours été riches en thématiques du fait qu'ils présentent des individus différents (qui pouvaient renvoyer aux communautés noires ou homosexuelles). D'ailleurs, l'Eglise, institution conservatrice par essence, condamne ici les mutants, considérés comme une aberration à l'image des homosexuels. Toutefois, le fait que les adolescents soient mis dans un asile suggère que les mutants sont une métaphore des marginaux en général, les communautés très minoritaires comme les indiens pouvant y être associées. Le film Les Nouveaux Mutants s'inscrit plutôt bien dans notre époque par ses protagonistes; avec les rôles majeurs donnés à des femmes, que cela soit les héros ou vilains, en essayant d'inclure différentes ethniques (latinos, amérindiennes) et présentant des relations homosexuelles. L'ensemble des thématiques est adapté à l'époque décrite et est alors parfaitement recevable. Il s'agit ainsi d'une inclusion intelligente.  


En définitive, les Nouveaux Mutants est le dernier projet de la Fox avant son rachat, visant à renouveler le genre du super-héros. Le résultat, sans être complètement original, réussit le pari de marier le genre du super-héros au genre de l'horreur. Une promesse qui restera sans suite. 

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vendredi 28 août 2020

Tenet


Synopsis : 

Un agent américain intervient à Kiev lors d'une prise d'otage. Cet attentat n'est en fait qu'un leurre pour tenter de récupérer un mystérieux objet. Mais l'intervention échoue et l'agent se retrouve prisonnier d'agents spéciaux russes.... 

Commentaire :  

Cinématographiquement impressionnant 

Christopher Nolan est un technicien hors pair du cinéma qui honore sa réputation avec son Tenet. La réalisation est toujours au millimètre et le grand écran est bien entendu le vecteur le plus à même de rendre grâce à ce film. Soulignons d'entrée qu'il s'agit d'un film très riche en action et qu'elle est parfaitement rendue avec le recours le plus possible aux décors réels et aux cascades motorisées, choix de plus en plus rare. Pour la photographie, fidèle à Nolan, et les environnements montrés, Tenet est à voir. Le montage est lui particulièrement rapide, même dans les rares temps faibles, Nolan recherchant l'efficacité. A noter que l'efficacité est une notion plus ou moins relative ; ce qui semble évident pour Nolan, ne l'est pas forcément pour le spectateur et le film aurait gagné parfois a réexempliquer ce qu'il montre ou ce qu'il dit. Paradoxalement, le film dure 2h30, ce qui est long, même pour un blockbuster, mais sa durée n'est pas ressentie du fait du choix du montage (et de son scénario qui oblige le spectateur à être actif). Si le montage est rapide, il a la qualité d'être linéaire et chronologique pour simplifier une histoire qui elle voit le passé, le présent et le futur entre-mêlés. C'est un choix judicieux pour que l'histoire reste compréhensible, même si l'idée de mêlé le montage a dû traverser l'esprit de Nolan. Toutefois, Nolan a pu se faire plaisir ailleurs, non pas en mêlant son montage mais en mêlant les timelines directement dans le plan. Ainsi dans le plan, les différentes temporalités se croisent avec l'idée que certains éléments à l'écran remontent le temps alors que l'histoire, elle, continue son cours. C'est là la grande prouesse de Nolan, qui peut se voir comme le déroulement simultanée mais complémentaire de plusieurs bobines à l'écran, dont certaines sont rembobinées. C'est un exercice difficile qui nécessite une maîtrise totale de la narration pour que l'ensemble ait encore un sens. L'ensemble de l'histoire est soutenue par la bande-musicale de Ludwig Göransson, dans un style proche de Hans Zimmer qui sied bien au rythme de Nolan. A noter que la partition est néanmoins plus complexe que chez Zimmer. Nolan a la qualité d'avoir une réalisation qui laisse une place à la musique.

Un scénario nolanien simplement complexe [Spoilers]

C'est le scénario nolanien par excellence, celui qui ne laisse pas le spectateur dans une attitude passive. C'est un autre grand atout du film mais aussi sa principale limite. S'il est important de faire réfléchir le spectateur, le scénario doit aussi lui être accessible sans qu'il soit besoin de voir le film plusieurs fois. De plus, l'efficacité de la mise en scène de Nolan fait qu'il n'y a pas de doublon d'information, or ce choix est questionnable ici d'autant plus que Nolan cherche à mettre en image un concept complexe (une théorie de l'espace-temps). En outre, les enjeux ne sont pas toujours mentionnées explicitement, ce qui oblige le spectateur à réfléchir. Etrangement, la scientifique incarnée par Clémence Poésy nous dit de ne pas essayer de comprendre mais de ressentir, ce qui est particulier pour un film de Nolan. Peut-être est-ce aussi une recommandation de Nolan qui bien que cherchant à s'appuyer sur des théories scientifiques, sait qu'elles ne sont pas valables au-delà de l'échelle atomique. Et elles ne sont que des théories, donc pas encore validées. Celle du multivers n'est par ailleurs pas la théorie qui tient la corde actuellement dans le monde scientifique. Quoiqu'il en soit, les théories du monde quantique ne sont pas appliquables dans notre monde (à notre échelle), c'est ainsi qu'il faut peut-être interprété le message de Nolan et ne pas essayer de comprendre complètement puisque notre logique n'est pas utilisable avec ces théories! Le paradoxe c'est que ces théories complexes débouchent sur un scénario très prévisible. En effet, le paradoxe du grand-père énoncé dans le film ne peut être dépassé, c'est à dire que le retour dans le passé... ne change pas le passé. Autrement dit, la réalité ne peut être modifiée : la réalité une fois vécue reste la même car la réalité vécue comprend déjà en elle la conséquence d'un retour dans le passé. C'est ce que démontre explicitement la scène des camions. La voiture grise que le protagoniste utilisera lors de son retour dans le passé est déjà présente lors du premier passage filmé. C'est en fait la technique utilisée également dans Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban (ou le dernier Alice au Pays des Merveilles) qui permet d'éviter les incohérences temporelles : rien de nouveau donc (hormis pour le visuel le déplacement inversé). Le problème de Tenet contrairement aux autres films est que l'on sait de facto que le protagoniste et son équipe vont réussir à éviter l'apocalypse puisque l'apocalypse n'a pas eu lieu lors des vacances de Sator et de Kat au Vietnam. Si cette technique de voyage dans le temps ne gachait rien aux autres films, c'est parce qu'on ignorait que c'était ce choix de voyage dans le temps qui était fait. Tenet explique plus ou moins que c'est ce choix qui est fait (scène des camions) avant le climax... et il était évident que Nolan choisirait l'option qui ne créerait pas d'incohérence. Choix logique mais climax désamorcé pour ceux qui ont vu les ficelles. 

Un concept sans thématique

Toute l'idée de Tenet repose sur le concept de tenaille temporelle, c'est à dire un film qui présente des personnages de temporalités différentes dans un même instant dont certains allant vers le passé. Le film, comme son nom Tenet, est une sorte de palindrome (le mot se lit dans les deux sens). Au-delà du concept, qui oblige certes à réfléchir, le film est plutôt pauvre thématiquement. Il manque le côté incarné (le héros n'a pas de nom ni d'histoire) pour que des grandes questions sur la condition humaine (comme dans Interstellar ou la trilogie Batman) soient développées. Certes, Nolan essaye d'introduire une relation entre Kat et le protagoniste pour que le spectateur puisse se rattacher à une histoire mais celle-ci est plutôt peu développée. On peut même ressentir l'artifice du cinéma de Nolan qui est de trouver un concept et de broder une histoire autour. Ici, le concept prend toute la place et l'histoire est en retrait. Le film essaye pourtant dans son acte final de donner un argumentaire au grand méchant Sator, en lui prêtant des motivations écologiques. Néanmoins, celui-ci ayant été décrit comme un mafieux ultra-violent tout au long du film, ses intentions ne paraissent pas vraiment crédibles. La réponse du protagoniste n'est pas plus intelligente "chaque génération se démerde avec ses problèmes" : ce qui peut être compris comme le fait qu'il faut laisser une chance aux générations futures de régler leurs problèmes mais, aussi, l'idée qu'on n'a pas à se préoccuper des problèmes futurs... Un plus grand développement aurait été le bienvenu. En vérité, il manque certainement Jonathan Nolan au scénario qui sait amener des réelles questions philosophiques, incarnées par des personnages. Christopher est plus dans une logique pure et dans l'artifice du questionnement : par exemple ici l'idée que "l'ignorance est notre atout".  C'est évidemment contre-intuitif et faux comme principe général. Il faut alors comprendre cette maxime comme la marge de manoeuvre qu'il est possible d'avoir dans le passé, autrement dit, il n'est pas possible de changer ce qui a été vu dans le passé mais il est possible d'interragir dans la marge de la vérité que nous ignorions au moment où les faits se sont passés. Toutefois, retourner dans le passé ne permet pas de le changer mais de découvrir un pan du passé que nous ignorions et dans lequel le voyageur temporel joue un rôle. Néanmoins, cette maxime est, nous le voyons, un artifice car l'ignorance n'est pas un atout mais un motif pour avoir la foi. Elle permet simplement de ne pas être despéré car le tout est déjà déterminé (ce qui est appelé "le destin" dans le film, ou "la réalité" par Neil).  Cette question du déterminisme n'est en fait pas si compliquée ; c'est Christopher Nolan qui la rend complexe. Jonathan aurait problèment donné un véritable sens à la réflexion. 


En définitive, Christopher Nolan livre un film techniquement irréprochable et joue comme il aime le faire avec un concept retranscript au cinéma. Toutefois l'histoire a du mal à s'incarner autour du concept de physique quantique utilisé. Telles ses boucles temporelles, Nolan semble épuiser son cinéma en l'absence de son frère Jonathan au scénario. 



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samedi 18 juillet 2020

La voix du succès


Synopsis :

Maggie est l'assistante, autremendit la personne à tout à faire, de la grande star de la chanson, Grace Davis. Si être aux côtés de son idole est déjà un accomplissement, elle aspire à autre chose : parler de musique avec elle et devenir sa productrice... 


Commentaire :

Une réalisation classique et musicale

La réalisation de Nisha Ganatra est exclusivement au service de l'histoire de Maggie qui est à la poursuite d'un rêve. La mise en scène se concentre donc sur le personnage de Maggie et sur les quelques personnages secondaires tels Grace Davis et David. Il s'agit donc d'une mise en scène utilisant préférentiellement le plan rapproché sur des visages ou les plans poitrines qui mettent en avant les émotions des personnages. La spécificité de la mise en scène se situe logiquement et intelligemment sur le travail réalisé avec la bande-musicale qui oscille entre musique intradiégétique et musique extradiégétique. Ainsi par exemple, musiciens et chanteurs commencent à jouer dans une scène pour que la musique continue d'être jouée dans une autre scène. La musique est donc le liant de la mise en scène et du montage. Soulignons que les musiques/chansons du film sont d'excellente facture et qu'elles constitueraient des tubes indépendamment du film. En effet, des noms connus de la chanson américaine comme le producteur Darkchild et l'autrice Corinne Bailey sont derrière plusieurs morceaux présents dans le film. Si les points précédents consituent des aspects positifs, soulignons toutefois le côté assez évident du scénario qui pour la belle histoire se retrouve plutôt simpliste.

Des personnages bourgeois à l'intersection de plusieurs luttes

Le film met en scène des femmes limitées ou rabaissées dans leur ambition par des hommes : Maggy par le producteur de Grace, et Grace par les hommes de sa maison de disque. Elles font face à des contraintes limitant leur projet, la première pour devenir productrice et la seconde pour continuer à chanter passé quarante ans. Pour Grace, la question de la discrimination fondée sur l'âge rentre jeu, associée à son statut de femme. En outre, il faut rajouter pour cette dernière sa condition de femme noire. Cela en fait une personne à l'intersection de trois luttes et donc une particulièrement sujette à la discrimination. Le film cherche ainsi à mettre en exergue les injustices que subissent ses personnages, thématique très actuelle. Toutefois, il s'agit d'une histoire positive et peu violente dans les rapports de force montrés. En effet, l'ensemble des individus présentés appartiennent à la classe bourgeoise, ou s'y rapportent avec un mode vie bourgeois. Ainsi, même si Maggie perd son travail d'assistante, elle ne se trouve jamais démunie - sans parler des situations de Grace (au pire recyclant ses tubes à Las Vegas) et de David (vivant dans une villa). Sans lutte de classe, les différentes luttes présentées paraissent plus anodines  ; mais éviter la lutte de classe permet de mettre en avant le rêve américain : avec de la passion et du talent, on finit toujours par aller au bout de ses rêves. Hollywood fidèle à lui-même. 

En définitive, La Voix du Succès est un bon drame musical dont l'atout premier est ses chansons. L'histoire est elle tout ce qu'il y a de plus classique tout comme les thématiques, désormais très consensuelles. 



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dimanche 28 juin 2020

De Gaulle


Synopsis :

En 1940, le colonel De Gaulle remporte une des rares victoires de l'armée française. Il est alors nommé sous-secrétaire d'Etat à la guerre et devient général. Il est le seul à vouloir fermement continuer la guerre alors que les partisans de l'armistice sont de plus en plus nombreux... 


Commentaire :

Un biopic soigné 

Gabriel Le Bomin est le premier à mettre en scène au cinéma le personnage de De Gaulle, presque sacralisé et donc intouchable. Le film bénéficie d'une mise en scène soignée mais au budget limité. Ainsi, c'est avant tout l'intimité de Charles de Gaulle ainsi que ses relations d'homme politique qui sont mises en scène. Il n'y a pas véritablement de scène de guerre. La réalisation met ainsi en image des dialogues et des paysages (pour la fuite de la famille De Gaulle). Les scènes les plus fortes en tension et probablement les plus réussies sont celles de la fuite de la famille car elles permettent une mise en contexte (la fuite des civiles) alors que le reste des scènes sont plutôt en huis clos. Cela n'empêche pas à l'ensemble du film d'être particulièrement soigné dans sa réalisation. Une attention particulière est réservée évidemment à De Gaulle, personnage grand et donc facilement mis en valeur dans le plan. Le film insiste également sur la ressemblance physique de Lambert Wilson bénéficiant de prothèses avec le personnage historique. Ainsi, de profil, et parfois en jouant sur le flou, l'illusion à l'image est frappante. Avec les scènes de fuite, cet artifice est la principale réussite visuelle du film. Pourtant, dans un contexte de guerre, il peut résider un regret / une frustration sur le fait qu'il n'y ait que l'environnement proche de De Gaulle qui soit mis en image. Concernant la musique, Romain Trouillet est parfaitement à la hauteur et réussit à rajouter de l'ampleur à l'histoire narrée. 


L'Histoire comme objectif

Le film traite du personnage historique sur une très courte période et de ce fait n'a pas un large spectre thématique à embrasser. Sans être hagiographique, quoique la mise en scène est clairement au profit de De Gaulle, le film souligne la droiture du personnage et met en avant ses convictions. Pourtant, il est difficile d'apprécier le personnage au-delà de son courage et de son patriotisme car c'est bien l'amour de la France, plus que des engagements éthiques profonds, qui le rend hermétique aux arguments parfois convaincants des défaitistes (la paix, le sacrifice inutile de soldats). Il n'est pas fait mention par De Gaulle de l'idéologie nazie à combattre et de la lutte pour la démocratie. Dans le film, c'est Churchill qui prend ce rôle de gardien des valeurs. C'est alors que le choix de traiter de la famille de De Gaulle se révèle intéressant. En effet, il est ainsi possible de mettre en avant son engagement pour sa famille et particulièrement pour sa fille Anne qui est trisomique. Charles et Yvonne De Gaulle font le choix de garder leur fille et la mette au centre de leur attention. C'est ainsi que Charles De Gaulle devient un personnage réellement appréciable par la mise en avant de son empathie pour un enfant fragile et différent. 
Toutefois, le film a également plusieurs qualités qui tiennent à la vulgarisation de l'Histoire. Il met en avant le De Gaulle peu connu, le De Gaulle illégitime des années 40. Car celui qui deviendra le héros de la Nation et le père de la Vème République n'est qu'un général dégradé et déchu de sa nationalité en 1940. Ainsi, celui qui deviendra un jour le plus grand des Français n'est, à un moment de l'Histoire, même plus français. Avant sa déchéance, le film informe que De Gaulle est un des rares à avoir connu des succès militaires en 1940 et que son personnage est persuadé qu'un changement de tactique militaire finira par avoir raison de l'Allemagne dans une guerre mondiale. La question qui demeure à cette période est de savoir qui incarnera la résistance, chose que De Gaulle n'accepte pas tout de suite. A Londres, ce qui frappe en effet est son incroyable isolement. Le choix de ce pan de l'Histoire est donc tout à fait intéressant à traiter car il est peu connu. Toutefois, l'intérêt historique n'est pas forcément judicieux narrativement (hormis pour les historiens et enseignants). Le film manque en effet d'élan et surtout d'une conclusion. Ici le manque de budget se fait sentir, car hormis par le biais de quelques lignes de texte, le film ne conclut pas par l'image l'aboutissement de l'engagement de De Gaulle. Il est certain qu'un film américain ne se serait pas privé d'une narration complète comportant une conclusion. Néanmoins, le grand intérêt de cette production est qu'elle soit justement française. Elle apporte un son de cloche différent sur la défaite de 40 que la version anglo-saxonne. Car si Dunkerque est présenté comme un succès britannique, c'est avant tout la fuite de l'armée anglaise du continent, permise par l'armée française laissant seule cette dernière face à l'Allemagne. Dernièré qualité du film : la politique en 1940. La tergiversation à la tête de l'Etat français est intéressante à narrer. En effet, le Président Reynaud, soutenu par De Gaulle, peine à imposer ses vues. Ainsi, cette période permet de comprendre la volonté de De Gaulle de mettre en place un exécutif fort, chose qu'il finira par faire bien plus tard en 1958 avec la Vème République. 

En définitive, De Gaulle a un réel intérêt historique en mettant en avant le De Gaulle illégitime de 1940 et en apportant une vision française et non plus anglo-saxonne sur la défaite de 1940. Toutefois, le film, concentré dans le temps et sur son personnage, manque d'ampleur.



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samedi 27 juin 2020

Radioactive


Synopsis :

L'histoire de Maria Sklodowska devenue Marie Curie, qui mis toute son énergie pour mener ses recherches et être reconnue en tant que scientifique dans une société dominée par les hommes.


Commentaire :

Un biopic à la réalisation travaillée, trop travaillée ?

Marjane Satrapi adapte un roman graphique retraçant la vie de Marie Curie. Le support original explique sûrement une image particulièrement travaillée et un montage parfois très dynamique. Le roman graphique autorise en effet le recours à des visuels forts par souci d'efficacité. Dans le même ordre d'idée, le film (de nationalité britannique) a recours à des géosymboles comme la tour Eiffel en arrière-plan, ce qui peut être beau dans la composition du plan tout en ancrant parfaitement le film pour un public international... cela étant cliché pour un Français. C'est à cette occasion que l'on peut noter que le film est doté d'un budget conséquent. Ainsi, aucun film français ne se serait autorisé par exemple à mettre en image les applications futures venant des découvertes de Marie Curie. Or ce film ne s'interdit rien visuellement.
Si le film adopte ainsi une mise en scène singulière, la forme prend parfois le pas sur le fond, comme si le film essayait pour certaines scènes de forcer la tension ou la peur. Or le genre du biopic historique (film biographique) préfère la sobriété pour des raisons de réalisme, de fidélité. Le propos du film reste néanmoins parfaitement audible et l'audace en termes de réalisation, parfois très belle dans la composition des plans, fait du projet une oeuvre originale pour le genre. 


Une myriade de thématiques

La qualité du film tient à ses thématiques. L'objectif premier du film est bien entendu de mettre en avant un personnage historique, et d'explorer des pans de l'Histoire moins connus comme l'engagement de Marie Curie pour la Première guerre mondiale. Toutefois, l'objectif du film va au-delà de l'Histoire, en témoigne le choix de partir du roman graphique et non de sources historiques.
Le choix du personnage indique déjà l'inscription du film dans la lutte féministe. Le traitement du sujet souligne toutefois encore plus la thématique. En effet, Marie Curie n'a de cesse de faire face à de vieux hommes blancs, représentant le conservatisme. Le film arrive particulièrement bien à souligner l'impossibilité pour une femme de s'épanouir dans une société patriarcale. De manière intrigante, seuls les hommes plus jeunes sont présentés sous un jour plus sympathiques quoiqu'ils sont dépeints légèrement lâches dans leur posture face au système. Le fait que Marie Curie réussisse finalement sa carrière témoigne de l'exceptionnalité du personnage tant du point de vue scientifique que de son caractère. Il faut un individu hors du commun pour pouvoir s'imposer en tant que femme à cette époque. Cela souligne encore plus crument l'injustice faite aux femmes, car même Marie Curie peine à être reconnue à sa juste valeur, sa reconnaissance imparfaite à l'époque étant le fruit d'une lutte et d'exploits incommensurables. 
Le féminisme est bien le propos principal mais d'autres thématiques s'ajoutent également à la thématique centrale. Le deuxième sujet est celui du progrès technologique et pose la question de l'utilisation des découvertes scientifiques. Car si Marie Curie est une chercheuse passionnée par la théorie scientifique et n'a d'autre ambition que d'enrichir les connaissances de l'humanité, ses découvertes ont eu des applications concrètes, tant positives (la radiographie, la radiothérapie) que négatives (le nucléaire : les bombes et les accidents des centrales nucléaires). Le film utilise habillement les flashforwards (les flashbacks pour le futur) pour montrer l'ambivalence des découvertes scientifiques. Notons toutefois que pour ce cas précis, Marie Curie ne pouvait pas imaginer la portée de ses découvertes. Il ne s'agissait pas de découvertes ambivalentes à l'origine. Sa responsabilité morale est donc très limitée bien que le film veuille forcer le trait sur ce point.
La troisième thématique est mineure mais ressort à certains moments. Il s'agit de la xénophobie dans un contexte de poussée de nationalisme dans lequel l'origine d'une personne dépend de son apport et de son image dans la société. Ainsi Marie Curie est française lorsqu'elle est une grande scientifique mais ramenée à son identité polonaise lorsqu'un scandale sur ses moeurs fait les gros titres de journaux à commérages. Ce passage montre également la quête de la liberté sexuelle des femmes qui n'en est alors qu'à ses prémices.
Quatrième et dernière thématique, le rationalisme de Marie Curie qui adopte une posture scientifique, athée pour tous les domaines de sa vie, lui permettant de se protéger des pseudo-sciences, contrairement à son mari. En revanche, il est regrettable que la fin du film, qui correspond à la fin du personnage, semble suggérer que Marie Curie est amenée au paradis par Pierre, son mari. Si cela rend la fin évidemment moins triste, presque heureuse, ce choix de conclusion rentre en contradiction avec le trait d'esprit de Marie Curie.


En définitive, Radioactive a pour grande qualité la richesse des thématiques explorées à travers l'exploration du personnage de Marie Curie. La limite du film se trouve certainement dans sa forme avec une réalisation qui manque parfois de simplicité.





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dimanche 23 février 2020

Le cas Richard Jewell


Synopsis : 

Richard Jewell est un agent de sécurité aux Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996. Il découvre un colis piégé et sauve ainsi de nombreuses vies. Devenu un héros, les agents du FBI commencent à le suspecter. Les médias leur emboîtent le pas et traînent Richard dans la boue...


Commentaire :

Réalisme de la mise en scène

Clint Eastwood se saisit d'une histoire inspirée de faits réels, exercice dans lequel il excelle. La narration est donc au centre de la mise en scène, cette dernière restant très sobre, utilisant principalement des gros plans ou des plans en taille pour les personnages. La caméra est parfois une caméra à épaule pour rendre l'histoire plus réaliste et plus intimiste, avec l'illusion d'être aux côtés du principal protagoniste Richard Jewell. Certaines scènes sont reprises de scènes réelles comme l'interrogatoire de Richard dont le FBI avait une copie, ou les plans d'époque diffusés à la télévision. L'utilisation des plans télévisuels concourent également à rajouter à l'authenticité du film. La teinte de l'image est moins flamboyante que pour la plupart des long-métrages avec ici en plus, la recherche du contraste pour rappeler le film noir. A la musique, Arturo Sandoval est logiquement à l'accompagnement pour laisser à la narration le premier rôle.
Ici ce n'est pas la mise en scène qui signale véritablement que Clint Eastwood est à la manoeuvre. C'est l'histoire racontée. 

Thématique : le héros détruit par les institutions

Clint Eastwood est toujours à la recherche du héros commun, celui présent dans tout Homme et qui un jour rejaillit lorsque la situation l'exige. Le héros connaît ici l'injustice ; la non-reconnaissance de son acte de bravour. Pire, il est dépeint comme un monstre, l'injustice suprême. En effet, avoir découvert la bombe fait de Richard Jewell le premier suspect. Une chasse aux sorcières est alors lancée par le FBI et les médias pour faire de Richard Jewell le suspect parfait. Le héros devient la cible des institutions que lui même respecte naïvement au plus au haut point. C'est ainsi l'histoire d'un homme broyé par un système qu'il a depuis toujours cherché à servir. Cette critique frontale envers les institutions policières et la voracité des médias pour le scoop est le principal message du film. Au-delà de ce thème, le sujet choisit ici intrigue. La temporalité de la sortie du film est intéressante parce-que Clint Eastwood défend ici un humain, réduit à ses caractéristiques d'homme blanc frustré, l'idéal suspect pour le FBI et encore plus pour les médias, déjà dans les années 90. Si Clint Eastwood montre la naïveté mais aussi parfois l'imbécilité de cet individu, il souligne aussi que ces attributs d'homme blanc ne peuvent lui dénier le droit à la Justice ni à son statut d'héros. Car ce n'est pas en tant qu'homme blanc qu'il mérite sa reconnaissance mais par ses actes, comme n'importe quel humain qui aurait agit de la même manière. Ainsi Eastwood cherche à rendre hommage à un homme ayant accompli des actes héroïques mais n'ayant rien du profil du héros aux yeux de la société. 


En définitive, Clint Eastwood choisit une nouvelle fois de travailler l'image du héros, en rendant brillamment hommage cette fois-ci à un héros déchu.




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dimanche 16 février 2020

The Gentlemen


Synopsis :

Michael Pearson, Baron de la Marijuana, cherche à raccrocher et à vendre ses plantations et son commerce. Plusieurs parrains cherchent alors à prendre sa relève...


Commentaire :

Classissisme dans la mise en scène

Guy Ritchy priviligie la mise en scène pleinement narrative pour un film reposant avant tout sur son scénario et ses acteurs. La réalisation en elle-mêmene ne présente pas vraiment de singularité à Hollywood et cherche avant tout l'efficacité. Le montage, principal argument de réalisation ici, participe à la mise en place du suspense en révélant une partie du dénouement dans la première scène. Cet artifice permet à Guy Ritchy de prendre le temps de poser les bases de son scénario, une certaine tension étant maintenue pendant plusieurs scènes d'introduction. Christopher Benstead à la composition ne cherche pas non plus à dépasser la narration et accompagne les scènes sans si subsitituer. Les chansons extradiégétiques mais aussi intradiégétiques sont en revanche beaucoup plus prégnantes, puisqu'elles participent au scénario du film, toujours dans un but d'efficacité. 

Guy Ritchy pour un discours sur le scénario

Si le film a un intérêt, ce n'est pas pour les thématiques développées par l'histoire des personnages dont le propos simple se résume au fait que le droit du plus fort, conjugué à la ruse est la seule loi valable dans cet anti-monde ; l'univers de l'illégalité dont fait partie le trafic de drogue. Il y a en outre certainement une critique de l'aristocratie anglaise mais trop peu creusée pour que l'on puisse en tirer un message particulier. Toute la force du film réside alors dans son propos méta sur le film de Gangsters apporté par le personnage de Fletcher. Ce personnage narrateur explique le fonctionnement du film et ses références cinématographiques. Les costumes des personnages laissent d'ailleurs planer le doute sur la temporalité de la diégèse comme si ce thriller contemporain essayait de s'accrocher aux films de Gangsters du XXème siècle. Fletcher (brillament interprété par Hugh Grant), principal narrateur, est l'alter-égo exalté de Guy Ritchy. Face à lui dans le rôle du spectateur, puis du narrateur, Ray (Charlie Hunnman) est un Guy Ritchy modéré plus réaliste. Ces deux personnages proposent successivement et de manière alternée un récit des évènements qui changent les scènes narrées. Celles-ci sont alors remontrées sous un nouveau jour, comme si des scénaristes rayaient et ré-écrivaient une scène. Si la scène n'est pas réécrite par le nouveau narrateur, celui-ci rajoute un détail ou un point de vue qui la modifie entièrement. Il en ressort un scénario "en mille-feuille" qui ne peut être compris que lorsque le dernier narrateur a parlé. Il y a donc chez Guy Ritchy une maîtrise totale de l'écriture du scénario à suspense, prenant même le temps d'en expliquer les subterfuges aux spectateurs. Pour son côté méta et cinéphilique, ce long-métrage est somme toute une réussite. 

En définitive, Guy Ritchy brille avec The Gentlemen par l'écriture de son scénario à plusieurs niveaux. Le côté cinéphilique et méta apporté par le personnage de Fletcher est le véritable atout de ce film de Gangsters. 



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mercredi 12 février 2020

Birds of Prey et La fantabuleuse histoire de Harley Quinn


Synopsis :

Séparée de Joker, Harley Quinn perd l'immunité dont elle jouissait. Tous les bandits de Gotham ayant un grief contre elle se mettent alors à sa poursuite...


Commentaire :

Une mise en scène dynamique et soignée

Cathy Yan choisit de travailler la mise en scène pour redorer le blason de DC après l'échec critique de Suicide Squad, film directement lié à Birds of Prey. La réalisatrice n'a à son crédit qu'un film indépendant. Elle reprend l'esthétique de l'univers DC mais propose une réalisation singulière. Par son montage, le film épouse la narration d'Harley Quinn. La structure du film est donc un peu décousue pour reproduire le désordre dans la psyché de l'anti-héroïne. Harley Quinn a également un côté enfantin et immature qui se lit dans l'interfilmicité avec la citation visuelle de Titi et Grosminet, constamment sur la télé de H. Quinn, mais aussi avec l'introduction du film réalisée sous la forme de cartoon. Il est possible également de noter des choix non-thématiques mais démontrant un soin particulier à la réalisation, comme par exemple un flash back en plan-séquence dont le changement de temporalité s'effectue via un déplacement de la caméra. Le cut aurait été plus évident mais beaucoup plus banal. Autre qualité de réalisation: la mise en scène des combats laisse voir la chorégraphie de l'action avec un recours modéré aux cuts et l'utilisation de plans en pied. Ce petit blockbuster a donc la qualité d'éviter la réalisation normée et pauvre de la plupart des films à grand spectacle. A la musique, Daniel Pemberton est discret, effacé derrière les nombreuses chansons d'artistes tels Sofi Tukker, Doja Cat, Whipped Cream et Baby Goth, Jucee Froot ou Halsey, ou des tubes tels Hit Me With Your Best Shot, Barracuda, Love Rollercoaster et I Hate Myself For Loving You.

Les thèmes : l'ère des femmes et la remise en cause du patriarcat 

Chez DC, Cathy Yan est la seconde femme à pouvoir réaliser un film de super-héros mettant en scène une héroïne, le studio prenant ainsi de l'avance vis-à-vis de Marvel. Le film est une critique générale du patriarcat. Les héroïnes ont toutes subies des violences diverses de la part des hommes ou sont sous la menace d'en subir. Il y a un rapport de force lié au genre dans le film entre les personnages de sexe différent, toujours lié à un rapport de classe, ce qui ouvre la situation des personnages à l'universel. Ainsi c'est à la fois en tant qu'homme, patron ou supérieur que les personnages masculins exercent leur domination. Le système patriarcal permet aux hommes d'accéder au position de pouvoir comme cela est montré avec le policier, ce qui engendre une domination double. Il en ressort que la domination de classe est liée à la domination du genre dans un système partiarcal, et peut être d'une extrême brutalité, Harley Quinn comparant sa situation et celle de Black Canary à celle du maître et de l'esclave. Aucune figure masculine du film n'est d'ailleurs positive et aucune femme n'est menacante car en situation de dominée. En cela, le film est plutôt juste car la question du genre est articulée à l'ensemble d'un système et donc non essentialisée Le parcours d'Harley Quinn et de ses comparses est donc celui de l'émancipation, que cela soit dans la vie privée et sentimentale ou dans la vie professionnelle. Le film est monothématique mais clair dans son ambition, tout en conservant avant tout son côté divertissant.

En définitive, Birds of Prey est un bon divertissement, à la réalisation soignée, mettant en scène le combat pour l'émancipation de Harley Quinn et ses comparses.



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mardi 4 février 2020

Jojo Rabbit


Synopsis :

Jojo est un petit allemand de 10 ans. Endoctriné par le régime Nazi, il s'imagine avoir Hitler comme meilleur ami...


Commentaire :

Esthétisme de Waititi

Loin de se contenter de la narration, Taika Waititi soigne sa mise en scène. L'objectif est de représenter le nazisme à travers le regard d'un petit garçon embrigadé, ce qui autorise quelques extravagances. C'est notamment le cas pour la teinte et les couleurs choisies, assez flambloyantes pour une époque de guerre. La photographie est travaillée, notamment pour les plans de demi-ensemble où l'on voit un véritable effort de composition dans le cadre. Il ne semble pas y avoir un sens particulier à ces plans, juste une recherche esthétique pour introduire une scène. Il est palpable que Waititi a pris du plaisir et du temps pour réaliser son film. La scène d'introduction d'Elsa, la jeune juive cachée, à la manière d'un film d'horreur est particulièrement réussie pour renvoyer à l'imaginaire du Juif dans la tête d'un jeune garçon endoctriné. L'ensemble de l'histoire a un ton assez léger, grâce à un humour moquant les grossièretés de l'idéologie Nazi. Cela demande, du côté de la mise en scène, une rythmique millimétrée pour que les gags, souvent visuels, fassent mouche. A la musique, Michael Giacchino, un des grands compositeurs d'Hollywood, est plutôt discret, effacé derrière des reprises forcenées de chants allemands de propagande qui participent au ton humoristique.

Réfléchir par l'humour

Le nazisme est peut-être un des sujets les plus délicats à traiter au cinéma pour éviter les retours polémiques. Toutefois, la simplicité et l'absurdité de la propagande nazi, notamment dans son contenu adressé aux enfants se prêtent également au rire. Le rire est un des moyens possibles pour montrer l'absurdité de cette idéologie et ses effets sur un enfant. A ce titre, Taika Waititi dans le rôle d'un Hitler imaginaire est particulièrement réussi. Il est dommage toutefois que le ton humoristique décline au cours du film pour que le drame attendu dans ce genre de sujet prenne le dessus. Waititi a affirmé qu'il cherchait à désarmer le spectateur pour lui montrer ensuite la vérité crue.C'est un choix honorable. Néanmoins ce point de vue laisse aussi penser que l'humour seul n'est pas suffisant pour faire réfléchir  sur un sujet. Le choix de Waititi est celui de la sécurité, mais son talent pour l'humour rendait possible un traitement tout aussi pertinent par le biais de la comédie. 

En définitive, Jojo Rabbit est une comédie dramatique plutôt réussie sur une thématique complexe. On est presque à regretter que Taika Waititi se retienne sur la comédie.




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samedi 25 janvier 2020

1917


Synopsis :

Les caporaux Blake et Scofield sont envoyés prévenir le bataillon Devon que les Allemands leur tendent un piège. S'ils échouent à délivrer le message, 1600 hommes périront. 


Commentaire :

L'immersion de Sam Mendes

Impossible de parler de 1917 de Sam Mendes sans parler du plan-séquence comme choix de réalisation pour l'ensemble du film. Il ne s'agit pas d'un vrai plan-séquence au tournage mais l'illusion du plan-séquence pour le rendu final est parfaite. Au delà de la prouesse technique à saluer, l'intérêt ici est d'accentuer l'expérience combattante qui ne peut être réellement rendue par la rupture du bataille, le champ de combat n'offrant pas répit. L'immersion est donc totale, l'expérience prenante voire angoissante, se rapprochant parfois de l'expérience du jeu vidéo. Ainsi, l'absence de montage n'est pas l'absence de mise en scène car il reste pour le réalisateur toute la palette du déplacement de caméra, des angles de la prise de vue, du choix du cadre ou de l'utilisation de la lumière. A ce titre, la scène de course de Scofield à travers un bataillon lançant une offensive offre une leçon de mise en scène sans montage, avec un travelling rapide en pied à très forte profondeur de champ qui permet de comprendre l'immensité de la manoeuvre. La contrainte (du plan-séquence) force à la créativité dans un Hollywood très normé. La faiblesse issue de l'absence de montage pourrait être un rythme parfois plus lent, notamment lors des temps faibles. Néanmoins, la musique de Thomas Newman permet d'accompagner le film, en soutenant ou en accentuant chaque étape de l'aventure. Les scènes de tension sont mises en valeur par des motifs très courts et répétés dans le style de Hans Zimmer alors que d'autres scènes, parfois plus calmes ou aussi épiques ont une écriture plus travaillée, plus classique. 

Thématique : la guerre sans fin des britanniques

L'épisode narré n'est pas un épisode précis, il s'agit pour Sam Mendes de retranscrire l'esprit de cette guerre à travers un épisode qui aurait pu se passer chaque jour de 1917. Le Colonel McKenzie le confirme d'ailleurs à la fin, cette guerre est un éternel recommencement. Toutefois, pour les participants de l'épisode, c'est bien souvent un aller sans retour. A comprendre que la mort est le quotidien de la guerre et que les soldats, qui ont tous une singularité et une histoire qui mérite d'être racontée ne sont que des données dans un évènement qui les dépassent. Le message est clair, en plus d'être historiquement juste, la nation ayant à l'époque une valeur supérieure à l'individu. Le message est également efficace parce-que le film est plutôt juste d'un point historique que cela soit par les décors ou les tenues des personnages. Un des exemples est la reconstitution des tranchées, avec des constructions plus organisées côtées allemands que du côté anglais (les tranchées françaises étant similaires aux anglaises). De même, l'ennemi, haï, est également peu vus par les troupes. C'est une guerre où pour la première fois on tue sans voir; et le film s'attache à montrer le moins possible les Allemands, parfois simplement représentés par de simples silhouettes. La seule critique qui peut être fait sur ce film est à nouveau une vision anglo-saxone de la guerre, la Première guerre mondiale semblant être menée en premier lieu par les Britanniques. 


En définitive, Sam Mendes avec 1917 arrive à retranscrire l'expérience combattante à travers un film en plan-séquence prenant et angoissant. 


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dimanche 12 janvier 2020

Les filles du docteur March


Synopsis :

La vie de quatre soeurs au XIXème siècle aux Etats-Unis, de leur enfance au passage à l'âge adulte...


Commentaire :

La mise en scène soignée de Greta Gerwing

Si la mise en scène est d'un certain académisme dans la narration, elle a la qualité d'être particulièrement léchée, notamment dans la composition du cadre. Le premier plan parfaitement symétrique en est l'exemple, le symétrisme revenant à plusieurs reprise. Quand ce n'est pas ce choix de composition, le plan est organisé tel un tableau impressionniste notamment pour les scènes ayant lieu en extérieur. Si l'esthétisme est certain, le sens est moins prégnant, la narration étant le principal objectif de la réalisation. Toutefois, notons là encore, un montage recherché, en paralèlle, permettant de lier deux temporalités. C'est un choix judicieux mais nécessaire du fait du manque de péripéties et d'enjeux dans la première partie du film, qui se contente de dépeindre des personnages. Malgré ce montage, le rythme du film est plutôt lent dans un style évocant le réalisme. Il faut alors être bon spectacteur pour s'intéresser à la vie de ces 4 filles d'une classe sociale assez aisée. Toutefois la performance des 4 actrices principales mais aussi des acteurs incarnant la famille Lawrence permet d'accepter la longue description de ce milieu. A la musique, Alexandre Desplat se signale dans un genre de film qui lui convient plutôt bien, plus à l'aise pour les drames et l'époque romantique par son usage préférentiel du piano que pour le grandiose orchestral. 

Des thèmes énoncés mais non montrés [Spoilers]

Greta Gerwing à la manoeuvre, il était évident que la condition des femmes au XIXème siècle serait un des axes importants du film, d'autant plus lorsque certaines actrices engagées comme Emma Watson participent au projet. Dans le film, le patriarcat est immanent, il sous-tend les choix des personnages qui essayent de trouver leur voie, c'est à dire un choix de vie dans lequel ils pourront se réaliser. Si le film nous fait bien comprendre ce contexte oppressant par le biais des dialogues ou monologues des personnages, il ne nous montre pas de situations concrètes qui témoigneraient du pouvoir des hommes. En effet, toutes les figures masculines sont positives ; elles sont au pire neutres comme l'est l'éditeur. Ce personnage dit par ailleurs agir en raison de l'impératif commercial mais n'est lui-même pas particulièrement antipathique. S'attaquer à la question des femmes au XIXème siècle était enfoncer une porte ouverte mais le film est étonnament très léger sur la question, les protagonistes acceptant plus ou moins rapidement, mais en définitive plutôt bien leur sort. Le principal personnage défenseur de la norme est d'ailleurs une femme ; la tante March. En outre, le personnage le plus intéressant Jo (Saoirse Ronan), qui défend la situation du célibat pour une femme, qui peut se réaliser autrement qu'à travers son époux, finit elle aussi par vouloir se mettre en couple et le fait finalement. Certes ce n'est pas un mariage d'argent, c'est un mariage d'amour, et si cela contrevient à l'intérêt de la petite bourgeoisie d'époque, il n'est reste pas moins que Jo revient sur l'idée d'une possibilité pour une femme de trouver un épanouissement complet dans le célibat. Est-ce alors pour dénoncer une sorte de fatalisme et de mise en conformité avec l'époque ? Cette interprétation n'est toutefois pas évidente après le visionnage du film. Par ailleurs, le principal problème réside dans le fait que les protagonistes appartiennent à une petite bourgeoisie bien installée. Dans ce contexte, l'argent diminue grandement les rapports de force et fait que le patriarcat est beaucoup moins oppressant. Le personnage le plus en difficulté dans le film semble être Meg (Emma Watson), qui a elle aussi fait le choix d'un mariage d'amour. Toutefois, elle se prive d'une consommation superficielle (une belle robe) et non de nourriture.
Il reste alors la qualité pour ce film de mettre au centre de son histoire des femmes, sans que leur sort ne soit représentatif de la majorité des femmes de l'époque. Amy (Florence Pugh) résume à Jo (qui écrit son roman dans une sorte de mise en abîme) l'impression que peut laisser le film : qui s'intéresse à la description futile et banale d'une famille avec des femmes ? La réponse est sociologique : des femmes qui voient ici des figures dans lesquelles il est facile de se représenter dans un monde dominer par des hommes. C'est l'explication du succès du livre d'origine. C'est le cas également pour ce film aujourd'hui dans un monde où le cinéma est encore aux mains des hommes. Toutefois, le propos de fond est lui assez superficiel car c'est bien les intrigues amoureuses ou d'amitié qui portent finalement cette fiction. Dommage. 


En définitive, Les filles du Docteur March fait la part belle à un quator de femmes du XIXème dans un monde d'hommes. Il en va de même pour ces quatre actrices de renom dans un hollywood masculin. Toutefois, le sujet de fond sur la situation des femmes est léger dans son développement. 



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