Les sorties de la semaine

mercredi 24 avril 2024

Civil War

 


Synopsis :

Dans un futur proche, les Etats-Unis sont en guerre civile. L'Etat fédéral est en difficulté face à deux Etats sécessionnistes, la Californie et le Texas. Dans ce chaos, la photographe de guerre Lee tente de documenter le conflit…


Commentaire :

Magnifier l'horrible 

La réalisation d'Alex Garland est teintée de froideur comme le sujet qu'il tente de dépeindre. En effet, pour sa dystopie, Alex Garland a choisi une image documentaire, la plus réaliste possible car si son film est bien une fiction, il a l'ambition de décrire avec réalisme la nature humaine et sa face la plus sombre. Ainsi, le film n'épargnera aucune vision au spectateur ; les morts et les blessés sont légions dans le film mais présentés sans aucun sensationnalisme ou effusion de sang superflue. Le son de la guerre, de balles et d'obus sont parfaitement retranscrits. Les plans les plus beaux et les plus marquants, autant au niveau du contexte que de la photographie sont réservés aux sujets tragiques voire sordides. A ce titre, un plan est consacré à une forêt en feu, détruite par la guerre. Le plan est sublime de part la cendre incandescente virevoltante autour de la voiture. Le deuxième plan d'une beauté assumée et en même temps d'un tragique terrible est la jeune Jessie filmée en plongée dans un charnier où les corps ont été probablement recouverts de chaux. La vision est morbide et pourtant la photographie par le cadrage et les couleurs est belle. L'humanité dans ce qu'elle a de plus répugnante est sublimée par la photographie. C'est également le message du film. Côté musique, le film reste minimaliste la plupart du temps, l'image devant rester la plus "pure" possible. La bande musicale reprend de l'ampleur à certains moments et redonne un côté cinématographique à certaines scènes Néanmoins, c'est bien le son ambiant de la guerre qui rythme le film. 


Film politique sur les conséquences de l'absence de politique [spoilers]

Civil War est particulièrement riche en thématiques, la guerre étant comprise comme la conséquence de la politique ou plus précisément de l'absence de politique. Cette dystopie improbable n'est pour autant pas impossible dans un Etat fédéral qui reste fort mais où les polarités deviennent exacerbées... comme ailleurs dans le monde au XXIème siècle. L'origine du conflit reste floue dans le film et même les protagonistes l'ignorent pour certains (nous verrons par la suite que ça n'a pas vraiment d'importance de toutes façons). Toutefois, le film a été écrit avant l'assaut pro-Trump du Capitol, c'est à dire que ce contexte de tension est perceptible depuis un certain temps aux Etats-Unis pour un fin observateur comme Alex Garland. En effet, la division entre progressistes et réactionnaires court depuis au moins une décennie et le souvenir de la guerre civil (la guerre de sécession) reste bien présent aux Etats-Unis. L'irruption d'une guerre civile alors que Trump cherche une nouvelle fois le pouvoir en cette année d'élection n'est donc pas totalement illusoire. Dans le film, le président au pouvoir est autoritaire et a changé la constitution, cela déclenchant la guerre civile : nous restons dans le domaine du possible. Ainsi comme toute dystopie, celle-ci reste un avertissement. 
Ce film nous dit d'ailleurs autre chose, l'origine du conflit importe peu. C'est ce que nous dit la scène d'affrontement entre deux snipers. Peu importe qui est en face, de quel camp il vient. A partir du moment où il représente une menace, il est à éliminer. Les soldats ne savent plus pourquoi ils se battent si ce n'est pour leur survie. L'instinct primaire des Hommes revient et nous montre une nouvelle fois la nécessité d'un Etat (le Léviathan de Hobbes), car sinon l'Homme est un loup pour l'Homme (d'autant plus que les Américains sont lourdement armés, pas loin de 400 millions d'armes en circulation). Vengeances, exécutions sommaires, le pire de l'humanité est montré dans le film. La notion de Justice a complètement disparu. Au delà des groupes de soldat, même les deux camps ont perdu cet impératif comme le montre l'exécution sans procès du Président (peu importe qu'il soit un responsable autoritaire et probablement auteur de crimes de guerre). Le camp de l'Ouest ne vaut probablement pas mieux. La justice fédérale a disparu comme la notion de Justice. Elle disparait avec la démocratie qui est pensée, à l'origine, pour éviter les rapports de force armés, l'opposition devant se faire dans les urnes. Rien ne contrôlant les Hommes, leurs pires démons ressortent. Le racisme revient évidemment sur le devant de la scène, avec la séquence du charnier, où un soldat (probablement) exécute les non-américains. Paradoxalement, il reconnait encore les Etats-Unis comme une entité.
Les Etats-Unis sont en lutte face à leurs pires démons mais qui pour face aux Etats-Unis si ce n'est les Etats-Unis eux-mêmes. Il est vrai que la géopolitique actuelle n'offre pas de protagonistes vraiment à la hauteur dans un rapport de force (35% des dépenses militaires du monde). 
Le dernier sujet est la place des journalistes de guerre. Figures positives du film au départ, la conclusion de l'intrigue vient planter le dernier clou du cercueil. Lee est une figure positive ; elle a couvert les conflits à l'étranger pour éviter que cela ne se produise aux Etats-Unis. Elle devient toutefois apathique après tant d'horreur. Sammy est lui le journaliste d'expérience gardant une certaine éthique journalistique. Tous deux sont des figures positives mais connaissent leur place de journaliste. Les journalistes restent neutre pour couvrir les conflits, ils jouissent par ailleurs d'une certaine reconnaissance aux Etats-Unis, étant présentés comme le 4ème pouvoir. Toutefois, ils doivent alors garder une posture de spectateur impuissant face aux horreurs pour parler à n'importe quel camp. Et en effet, les différents camps les respectent (sauf les individus/soldats isolés). Cette posture en fait toutefois des robots, car ils transfèrent leur capacité de jugement aux citoyens, eux se contentant d'être des témoins. Posture impossible à tenir, Lee et Sammy finissent par sortir de leur rôle, ce qui leur coûte la vie... Il reste alors le journaliste en recherche d'adrénaline, Joel, et celle cherchant la carrière et la gloire, le jeune Jessie. Le film ne nous laisse rien, toute figure humaine est définitivement corrompue à la fin.  


En définitive, Civil War est une dystopie glaçante sur la nature humaine, dystopie ayant des racines profondes dans notre monde réel... 




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