Les sorties de la semaine

jeudi 14 septembre 2017

Mother


Synopsis : 

Un couple vit dans une maison isolée à la campagne. La femme essaye de reconstruire la maison qui avait brûlé par le passé tandis que l'homme, un écrivain célèbre, tente de retrouver l'inspiration. Alors que chacun s'affaire à sa tâche, des individus s'invitent chez eux... 


Commentaire :

Une réalisation au plus près de Jennifer Lawrence

Darren Aronofsky est un réalisateur duquel on attend beaucoup. Sa mise en scène se structure autour de Jennifer Lawrence, qui est le centre de toutes les attentions. Du cadre américain au cadre rapproché, elle est l'objet de plans assez longs, ce qui indique par ailleurs qu'elle également la muse de Darren Aronofsky [les deux artistes se sont d'ailleurs mis ensemble depuis le tournage], à l'image de son personnage pour Javier Bardem dans le film. En cela, la réalisation tranche avec le cinéma hollywoodien mais ces plans privilégiant le réalisme à la perfection de l'image ne sont pas si novateurs pour qui justement s'essaye à autre chose qu'à Hollywood. Le réalisateur de Noa, reprend par ailleurs quelques artifices du cinéma d'horreur avec cette caméra toujours collée à l'héroïne et qui laisse ainsi le reste de l'espace dans l'incertitude. Cela fonctionne plutôt bien puisque le film réussit parfaitement la mise en tension. Darren Aronofsky s'appuie également sur un mixage sonore calibré au point pour attiser un malaise sensoriel. En revanche, la bande musicale se fait presque oublier. La dernière chose à noter est la manière dont le réalisateur film les processus / les évolutions. Cela est présent dans tous ses films et l'ont retrouve certaines scènes concernant la maison qui évoque l'évolution des corps [au sens large - la matière plus généralement]. 

Un casting prestigieux et talentueux

Le nom de Darren Aronofsky suffit normalement à attirer le cinéphile mais ici, un casting cinq étoiles est en plus présent. Jennifer Lawrence porte le film et il ne pouvait en être autrement puisque son personnage est l'objet même de l'oeuvre. Parfois à la limite du sur-jeu, sûrement sur les conseils du réalisateur, elle livre une nouvelle fois une performance plus qu'honorable. Elle est épaulée par des acteurs également excellents : Javier Bardem, Ed Harris et Michelle Pfeiffer dont la performance est notable.

Les thématiques : trop peu de clarté [spoilers]

Malgré une mise en scène plutôt appliquée et un casting prestigieux et performant, le film péche dans son intention. Tout grand film a des thématiques fortes et défendus. Mother est un film construit à partir des thématiques et en ce sens, le fond est beaucoup plus important que la forme, qui n'a aucun intérêt sans le fond. Il s'agit d'une caractéristique typique du chef d'oeuvre, si ce n'est que le fond n'est pas compréhensible ici... Il est certes possible de comprendre rapidement que tout ce qui est à l'écran n'est en réalité qu'un niveau de lecture à dépasser mais il est difficile d'aller plus loin. C'est là tout le problème de ce film, le spectateur doit l'interpréter. Autrement dit, le réalisateur, en ne donnant aucune piste, ne peut défendre ses idées. Il n'est pas interdit d'avoir une ambition élitiste ou ésotérique mais un film doit pouvoir guider ses spectateurs. Si le réalisateur est le seul à pouvoir comprendre son oeuvre, quel est l'intérêt ? Un film doit être compréhensible sans les commentaires du réalisateur ni même d'ailleurs la connaissance de sa filmographie. Un film doit être une oeuvre compréhensible en et par elle-même. 
Après avoir dit cela, nous pouvons tenter plusieurs interprétations qui semblent s'entrecroiser dans le film mais il est difficile de leur donner de la valeur puisqu'on ignore s'il s'agit vraiment de la vision de Darren Aronofsky. 
Il est possible de voir trois niveaux de lecture entre-mêlés.
Le premier, très direct et même trop évident pour que cela soit l'intention du réalisateur, serait une réflexion sur le couple. L'homme aime sa femme mais désire plus, il souhaite l'adulation, ce que lui permet d'obtenir ses œuvres. Comme le dit Jennifer Lawrence, l'homme aime le fait d'être aimé et non la personne qui délivre cet amour. Par ailleurs, l'homme représente le patriarcat en prenant toutes les décisions. Finalement, cela le conduit à délaisser le simple bonheur qui lui procure sa femme et à être aveuglé par l'amour fanatique de ses fans.
Un second niveau de lecture, sans connaissance de la filmographie du réalisateur mais en poussant la réflexion, pourrait consister à voir : la maison comme un cadre créatif, l'écrivain (Javier Bardem) comme l'artiste et Jennifer Lawrence comme l'allégorie de l'inspiration (certains personnages l'appellent ainsi). Il s'agit donc d'une réflexion sur la création artistique. Le problème de l'écrivain dans ce cadre idéal est qu'il manque de rugosité et d'altérité pour écrire malgré la présence de sa muse. Il laisse donc entrer d'autres personnes dans la maison (d'autres idées dans l'esprit) ce qui lui permet à nouveau d'écrire. Toutefois, à force d'être perméable à l'extérieur, il finit par être submergé d'idées et délaisser le sujet même de son oeuvre, sa muse, écrasée par la multitude. L'enfant du couple, laisser aux "Autres" peut être également l'allégorie d'une idée qui partagée, finit par être maltraitée, déformée et détruite. 
Une dernière hypothèse peut être trouvée, si l'on connait l'intérêt d'Aronofsky pour les questions métaphysiques et la création originale (divine) qui parcourent sa filmographie. Dans ce cas, Javier Bardem serait Dieu, Jennifer Lawrence serait "Mother" ou mère-nature (certains personnages font référence à elle comme étant "la vie"), et les autres personnages seraient les humains. Les deux premiers humains (Harris et Pfeiffer) sont chassés du paradis après avoir cédé à la curiosité et casser le cristal. Cela ne serait pas insensé puisque le personnage de Jennifer Lawrence dit vouloir créer un paradis et par ailleurs, Javier Bardem chasse les deux premiers Hommes de sa salle de travail en condamnant la porte. Les autres éléments allant dans le sens de cette interprétation est le fait que les fils des deux premiers Hommes s'entre-tuent comme Caïen et Abel. Toutefois, cette interprétation aurait été plus aisée si au moins, Aronofsky avait choisi de nommer explicitement un de ses personnages par un nom biblique ou qu'un élément comme la pomme, le serpent, etc, puisse réellement confirmer cette thèse. Quoiqu'il en soit, dans cette perspective, on voit les Hommes maltraiter mère-nature malgré ses injonctions et Dieu pardonner sans arrêt ses créatures jusqu'à oublier mère-nature qui est normalement, sa première création. Cela est complexe car il s'agirait d'une relecture de la création originale par Aronofsky, comme si tout cela n'était pas déjà assez flou. On retrouve donc un Dieu aimant l'adulation des Hommes quitte à oublier la nature, à l'image de la situation contemporaine. Si on est croyant, cette vision est plutôt logique puisque c'est ce à quoi la situation actuelle laisse penser. En revanche, pour un athée, le traitement de la nature par l'utilisation d'allégories bibliques n'est pas évident et peu pertinent. Le dénouement de tout cela est la vengeance de la nature, poussée à bout, qui détruit toute création. On ne peut être totalement en désaccord avec cette vision pessimiste de l'Homme dans sa relation avec la nature... si c'est bien cela que voulait nous dire Aronofsky. Que cela est alambiqué!
Est-ce que toutes ces interprétations sont correctes, peut-être, mais la barque est trop chargée pour arriver à bon port. 

En définitive, Darren Aronofsky nous livre une oeuvre trop ambitieuse qui risque d'en laisser beaucoup sur la touche! Inutilement complexe. Heureusement, Jennifer Lawrence brille une nouvelle fois. 



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