Les sorties de la semaine

vendredi 13 février 2015

Jupiter Ascending




Synopsis :

Jupiter est une jeune femme, descendante d'une famille russe ayant fui la mafia de son pays. Femme de ménage, elle hait profondément sa vie qui est une longue succession de corvées qui lui permettent tout juste de survivre. Néanmoins, Jupiter n'est pas une jeune fille ordinaire. En effet, toute la galaxie est à sa recherche...


Commentaire :

Un film signé Wachowski

La patte des Wachowski est très rapidement visible dans le film. La principale caractéristique est bien évidemment la complexité du film, car le duo de réalisateurs adorent emboîter les univers (Matrix, Cloud Atlas). Nous attendions avec impatience que de tels réalisateurs de science fiction s'attaquent à la question de l'Univers. Ici, la biosphère terrestre est intégrée à la Galaxie dans laquelle elle a un rôle bien précis pour une civilisation supérieure. Les réalisateurs imaginent un immense univers, tout à fait cohérent, qui incorpore la réalité terrestre comme nous la connaissons. La logique des Wachowski est implacable à la manière d'un Nolan mais beaucoup plus foisonnante, baroque pourrait on dire. La signature des réalisateurs est aussi visible à travers des têtes connues de leur oeuvre cinématographique à l'instar de Doona Bae et James D'Arcy de Cloud Atlas. La seule spécificité du film ici est qu'il présente des passages humoristiques contrairement aux autres films des réalisateurs. Concernant les thématiques récurrentes aux Wachowski, nous les aborderons plus loin.

Le spectacle total

Jupiter Ascending est un film qui relève du space opéra, une aventure spatiale qui offre un spectacle total, où plus exactement une "oeuvre totale" comme le définirait Wagner ou Max Reinhardt. En effet, l'histoire présente des enjeux gigantesques, puisque l'intrigue a des implications universelles au sens premier du terme.  La mise en scène est très soignée mais manque sans doute de quelques plans d'exposition, c'est à dire des temps faibles, qui permettent d'admirer l'univers crée. A vrai dire, bien que les temps faibles soient assez rares dans les blockbusters, le monde des Wachowski est tellement riche visuellement que le film pouvait se permettre d'exposer plus longuement cet univers sublime et complexe. Ainsi, le film est dans sa forme très riche tout en restant classique car narratif (d'ailleurs Cloud Atlas avait prouvé qu'il ne fallait pas trop s'éloigner de la forme narrative au risque de perdre quelques spectateurs). Les scènes d'action ont elles, une mise en scène digne d'un ballet, avec une chorégraphie qui relève aussi bien de la pantomime que du montage. La musique accompagne très bien le film mais reste quand même discrète au regard du visuel. Ce que nous pourrions reprocher à ce blockbuster, c'est paradoxalement d'en faire un peu trop au niveau de l'action spectaculaire (à l'instar de la longue première scène d'action à Chicago), certes parfaitement réalisée mais qui risque d'éclipser le fond, celui-ci étant d'une extrême richesse.

Un film d'une extrême richesse : les thèmes et thèses

Que le film ait un scénario de 600 pages n'est pas surprenant, au regard de la densité d'information envoyée au spectateur. Le simple fait que ce space opéra ait choisit la forme du conte est tout un symbole car un conte est riche en messages et morales. Les morales s'appliquant à l'univers du conte ont pour fonction de faire réfléchir le spectateur sur sa réalité. En vérité, dans le conte, la morale est plus importante que l'histoire, qui n'est qu'un prétexte pour inciter les lecteurs à les écouter. Ici, ce sont les messages qui sont importants et les Wachowski ne vont pas avoir la main légère. Jupiter est une cendrillon galactique, le film cite directement la référence pour qui n'aurait pas fait le rapprochement. Le film cite également la Belle et la Bête qui est une citation encore plus riche de sens car la Bête est un personnage hybride, l'hybridation étant un thème cher aux Wachowski dans l'ensemble de leur oeuvre. Dans Jupiter Ascending, Caine représente la Bête, mais il est loin d'être le seul personnage hybride, certains sont hybridés avec des espèces animales, d'autres avec la technologie. Toutefois, l'hybridation va beaucoup plus loin ici car en vérité tout ce film est hybride puisqu'il s'agit d'un conte galactique. Le film est hybride temporellement car l'histoire se passe à notre époque mais la civilisation galactique possède évidemment des traits supposés de l'avenir de l'humanité mais également du passé (le style renaissance des bâtiments et des costumes - et non kitsch - ou des décors du début du 20ème siècle dans la scène avec Terry Gilliam). Par là même, le film est également hybride dans ses influences avec les contes européens mis en image à la manière d'un film Paramount de l'ère classique avec son visuel baroque, et tout ce qui concerne l'architecture futuriste inspirée par la science moderne. Certaines symboliques sont également empruntées à la religion sans pourtant être religieuses dans le film. "Ascending", le titre anglais a beaucoup de sens, il s'agit de l’ascension chrétienne qui ne pourra être réalisée qu'après la rédemption. Néanmoins ici, il s'agit plus d'un élèvement moral que d'un principe divin. L'Héroïne finit par accepter sa condition humaine et son protecteur récupére ses ailes une fois l'avoir sauvée, tel en ange anciennement déchu. C'est Cain qui fait l’Ascension finalement. Jupiter repose les pieds sur Terre dans tous les sens du terme mais l'ascension lui a été utile pour relativiser sa vie. Les références sont réellement multiples dans ce film, des jeux vidéos aux aliens de Roswell, il est impossible de toutes les citer après une seule séance. Ce qui est certain, c'est que tous les symboles et toutes les références font sens et l'analyse en serait passionnante.

Les messages ne sont pas nécessairement tous faciles à saisir tant ils sont nombreux et parfois évincés par l'action. Le premier message et peut-être le principal est le non-déterminisme car l'héroïne superbement interprétée par Mila Kunis, ne suit pas le chemin que l'on attend qu'elle suive, bien qu'elle soit naturellement/génétiquement destinée à être une Reine. C'est d'ailleurs parce que ses ennemis pensent de la sorte qu'ils vont courir à leur perte, ils prennent Jupiter pour une personne qu'elle n'est pas. Le culturel est donc plus l'important que le naturel : confirmant cette idée, Jupiter rejette ses semblables royaux et elle tombe amoureuse d'un être génétiquement impure. C'est dans cette optique qu'il faut comprendre l'hybridation qui donne des êtres différents, ne serait-ce que visuellement, mais qui peuvent être des êtres plus intéressants que les autres. Ainsi, ce qui nous définit selon le film est nos choix et non notre sang (à ce titre, il intéressant de mettre en regard le choix de Lana Wachowski de devenir une femme, elle a fait un choix contre le déterminisme naturel).
Un autre message important du film concerne le temps, qui est justement décrit comme la denrée la plus rare. De ce fait, une telle ressource ne doit pas être contrôlée par des hommes cherchant à en faire le commerce. Dit en substance, il serait dangereux de laisser cette ressource aux capitalistes. Un personnage dit mot pour mot ce que Hobbes pense de l'homme dans la recherche de ses intérêts personnels. L'homme est un loup pour l'homme et paradoxalement c'est Cain le loup est qui l'être du bien : superbe - l'image est symbolique et non déterministe! Il existe également de nombreux messages subsidiaires ou d'interrogations concernant la vie de demain, autour de la génétique et de la régénération mais aussi l'intérêt général et l'intérêt particulier, l'humilité de l'homme face à l'univers etc, c'est à dire des questions fondamentales pour l'humanité. Il y a également des messages beaucoup plus terre à terre comme la dénonciation de la bureaucratie et il est même fait mention de la mafia russe... Ainsi, au niveau des sujets, le film est également très foisonnant.

En définitive, ce film est riche à tout point de vue, très bien pensé et réalisé. Il est agréablement ambitieux. Le foisonnement visuel et l'action peuvent néanmoins prendre le pas sur les nombreuses thématiques, références et thèses développées. D'où sûrement la tiédeur du public vis à vis de ce film qui ne répond pas nécessairement aux attentes que l'on place dans un blockbuster. Concrètement, c'est un film pour les gamers philosophes, ce que sont les Wachowski!



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mercredi 11 février 2015

Imitation Game



Synopsis :

Alan Turing est un mathématicien hors pair, approché par les services secrets britanniques pour lutter contre l'Allemagne nazi. Avec ses collègues, sa mission est de déchiffrer les messages allemands codés par la redoutable machine Enigma. Tâche impossible pour l'homme, Alan Turing pense que seule la machine peut battre la machine...


Commentaire :

Un biopic passionnant

L'histoire de ce personnage longtemps cachée de la grande Histoire est passionnante. La personne d'Alan Turing est intéressante et intrigante et correspond parfaitement au génie incompris, ce génie dont l'esprit est au-dessus de toutes les futilités du quotidien mais aussi des codes sociaux. Toutefois, son inscription dans l'Histoire est encore plus passionnante car c'est l'originalité de sa personne qui va permettre la résolution d'un problème que n'importe quelle personne normale aurait jugée d'insolvable. Ce film permet de redonner à ce mathématicien oublié toute sa place l'Histoire. Bien que le commun des spectateurs ne puisse comprendre concrètement les recherches de Turing, le film arrive à montrer leurs importances fondamentales dans la guerre et plus globalement dans l'ère informatique.

Le biopic est somme  toute classique, au sens premier du terme, c'est à dire excellent. Aucune fulgurance ou originalité dans la forme, mais la mise en scène purement fonctionnelle est d'une efficacité redoutable. Le montage parallèle qui fait le lien entre trois périodes de la vie de Turing permet parfaitement de comprendre le personnage dans son époque. La musique d'Alexandre Desplat fait son oeuvre en mettant pleinement en relief les moments d'émotion. 

L'importance des acteurs

Les films américains comptent beaucoup sur les acteurs, les studios osant peu innover sur la forme. Ce biopic, comme beaucoup d'autres, est donc un film d'acteur. Toutefois ici, ils sont particulièrement bons, c'est à dire justes et efficaces. Leur interprétation est remarquable, Benedict Cumberbatch en tête. Il est à juste titre nominé pour l'oscar du meilleur acteur, confirmant tous les espoirs qui étaient placés en lui. Keira Knightley délivre également un jeu d'une grande force et mérite sa nomination dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle. Tous les acteurs sont généralement excellents mais le duo de tête est particulièrement impressionnant. Ils rendent leurs personnages intéressants et touchants et font donc du film une réussite.

Des messages bien soulignés

Ce biopic va au-delà de son rôle informatif et délivre de véritables messages. Ces idées étaient plutôt compréhensibles dans l'histoire, mais le film choisit de mettre les points sur les i à la fin, à l'aide de voix-off et de textes avant les crédits. C'est peut-être un peu trop poussé car l'histoire se suffisait à elle-même mais le film remplira ainsi clairement son ambition pédagogique. Les messages sont les suivants : Dieu ne peut sauver l'homme, dans le sens où l'homme est maître de son destin et c'est ainsi qu'il a pu surmonter l'épreuve de son époque. Deuxièmement, ce film souligne le droit à la différence, d'autant plus si la norme n'a pas de réel fondement logique et raisonnable. L'homme, pur esprit de raison, est définitivement libre, brisant l'idée du déterminisme divin (Dieu guide notre chemin) et naturel (la nature nous impose une conduite). 

En définitive, il s'agit d'un biopic très efficace qui rend hommage à des personnages longtemps marginalisés au regard de leur rôle dans l'Histoire. 



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mardi 3 février 2015

Into the Woods


Synopsis :

Un boulanger et une boulangère, Cendrillon, Jack et le Petit Chaperon Rouge sont réunis dans un conte où les souhaits de chacun vont entraîner la réunion de tous les protagonistes. Tout commence lorsque le couple de boulangers découvre qu’il est sous l’emprise d’un sortilège lancée par une sorcière du voisinage, qui l’empêche d’avoir un enfant…


Commentaire :

Tiré du Musical de Broadway

Ce Musical de Stephen Sondheim et James Lapine a été joué quelques semaines en France, au théâtre du Châtelet en 2014. Le film De Rob Marshall reste très fidèle à l’œuvre de départ. Elle a pour principe de mélanger plusieurs contes populaires, tout en se moquant de certains personnages ou de certaines situations incongrues dans lesquelles se trouvent les personnages. Le Musical était de très bonne qualité, avec une belle musique d’orchestre symphonique, parcouru de nombreuses chansons dont certaines sont marquantes et entraînantes. Le conte était divisé en deux actes, le premier étant le plus rythmé et scénaristiquement le plus intéressant, avec les musiques les plus dynamiques. Le second acte est lui, plus une suite annexe que l’aboutissement de l'intrigue, l'histoire paraissant se conclure dans le premier acte. La même impression se fait sentir avec l’adaptation filmique, cette dernière étant toutefois plus courte et donc condensée. Une voix-off permet les raccourcis et ne déteint pas sur la cohérence de l’œuvre. Néanmoins, l'adaptation souffre des écueils du musical original, avec en plus un second acte moins musical (plus traditionnellement joué) que le premier. Notons que la première partie est presque entièrement chantée hormis pour la voix-off. Autrement dit, la magie semble s’essouffler dans la dernière demi-heure et cela plus manifestement que pour l'oeuvre originale.

Du théâtre au cinéma, la nécessité ?

L’adaptation en film était-elle justifiée? Aussi surprenant que cela puisse paraître, il s'agit de la première adaptation Disney d'un musical de Broadway. L'inverse est en revanche moins rare. Concernant cette oeuvre, le conte est riche en lieux et personnages magiques et donc potentiellement intéressant à savourer avec les moyens du cinéma. Néanmoins, ce conte a d’abord été pensé pour le théâtre et de ce fait, il n’y a qu’une faible diversité de lieux (la forêt est le lieu principal): le cinéma apporte donc peu pour sa capacité à changer d'espace en un changement de plan. De plus, la magie du conte obligeait à une mise en scène ingénieuse et très créative au théâtre, notamment pour les quelques changements de décors et pour la représentation de personnages hors du commun comme le géant. Néanmoins, le film ne semble pas vouloir montrer plus que le théâtre musical ne le faisait, ainsi l’adaptation cinématographique n’apporte rien à l’œuvre originale. Certes, les quelques lieux parcourus sont graphiquement très beaux mais ils sont peu mis en valeur. De même pour les personnages principaux qui sont filmés de manière fonctionnelle. Il n’y a pas de chorégraphies particulières pour l’adaptation cinéma, seulement l’alternance de gros plans et de plans américains. La mise en scène est donc plus faible que dans la version Broadway. Cela est quelque peu dommage car le cinéma offre des possibilités que ne permet pas la mise en scène théâtrale. Musicalement, l’œuvre de Stephen Sondheim et James Lapine reste identique en qualité, la seule différence étant que la partition jouée est moins longue et modifiée en certains points. 

Un casting convaincant

Si les effets spéciaux et la mise en scène n’apportent rien à l’adaptation cinématographique, les acteurs sont eux plus convaincants. Emily Blunt tire son épingle du jeu dans le rôle de la boulangère, cette dernière produisant un jeu parfait, chantant merveilleusement bien et étant même plus belle que les princesses. Elle est l’argument principal de ce film. Meryl Streep est également convaincante en sorcière, avec des chansons bien interprétées et un jeu très finement dosé. Le boulanger, interprété par le moins connu James Corden, est une bonne surprise, ce dernier ayant un rôle conséquent pour faire valoir son jeu. Cendrillon a quant à elle une très jolie voix mais manque peut-être un peu de charme (désolé pour Anna Kendrick). Le reste des acteurs est correct. Les princes ont un rôle mineur mais sont bien interprétés : ils sont les principaux protagonistes humoristiques du film car de véritables caricatures du prince charmant. Il nécessaire de dire également quelques mots de Johnny Depp aka le Loup, dans un rôle qui semble avoir été taillé pour lui mais dont l'apparition est trop modeste pour qu’elle puisse marquer. Le film repose ainsi uniquement sur la musique et la performance de ses acteurs.

En définitive, ce musical ne vaut pas l’original de Broadway mais est un bon substitut pour qui n’a pas eu la chance d’assister à l'oeuvre théâtrale. Les chansons sont toujours aussi efficaces et la ravissante Emily Blunt rayonne à chaque fois qu’elle apparaît à l’écran. 




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