Les sorties de la semaine

dimanche 13 octobre 2024

Joker : Folie à deux

 


Synopsis :

Arthur Fleck est en prison et en attente de son procès. Le Joker en lui a disparu, effacé par les médicaments. Il doit bientôt faire face à son procès dans lequel la peine de mort sera demandée. Arthur n'a aucune lueur d'espoir jusqu'au jour où il rencontre Harley, jeune femme semblant fascinée par le Joker...


Commentaire :

La réalisation duale de Todd Phillips 

Après le succès mérité du premier film, Joker, Todd Philipps revient sur le deuxième volet. Si thématiquement, le film ne sera que peu différent, le réalisateur opte pour inclure ici le genre de la comédie musicale au drame. Ce choix audacieux et qui permet de justifier un deuxième épisode s'aliénera toutefois une partie du public rétif à cette forme d'art total, où l'image se conjugue avec la musique et le chant, voire avec la danse. Ce film presque en huit-clos (la prison et le tribunal) possède ainsi deux tonalités. La réalité est sombre et terne, brutale dans les interactions montrées alors que les scènes dans l'imaginaire d'Arthur (autre huit-clos) sont lumineuses, ou pour le moins présentent des couleurs contrastées. Ces scènes musicales, nombreuses, portées par un Joaquin Phoenix et une Lady Gaga irréprochables sont la plus-value du film. Elles sont néanmoins intégrées à côté de l'intrigue, et non au cœur même de l'intrigue. En effet, les scènes sont également montrées hors imaginaire d'Arthur, ce qui n'est pas le cas dans les comédies musicales classiques qui assument des scènes chantées comme parties intégrantes du film et faisant avancer l'intrigue. Le spectateur a donc les deux points de vue (Arthur et la réalité), ce qui n'est pas toujours nécessaire et qui peut nuire aussi au rythme, plutôt lent dans la première partie. Toutefois, ces scènes sont autant d'échappatoires pour Arthur que pour le spectateur à l'étroit dans cette prison et ce huit-clos et la redondance peut accentuer ce besoin de liberté. Notons aussi quelques facilités scénaristiques  dans les petits bémols. Toutefois, la mise est en scène est de très bonne facture tout au long du film avec en particulier le jeu sur les lumières qui varient en fonction des émotions d'Arthur Fleck. Les cadrages, sur-cadrages (avec les écrans), et citations sont légions. Le film est recherché dans sa réalisation. La scène dans l'imaginaire d'Arthur sont logiquement celles avec la scénographie la plus poussée. Le ton est donné dès le début avec l'apparition furtive des parapluies de Cherbourg. La bande musicale de Hilgur Gudnadottir, lente, toute en lourdeur, et parfois stridente rentre en opposition avec les scènes musicales; elles, rythmées, riches en instruments et aux arrangements joyeux. La musique participant à l'ambiance, se greffe parfaitement sur les deux tonalités du film.

Les thématiques : le Joker, victime mais non symbole [spoilers]

Le premier film était un drame social brillant qui montrait comment l'Etat défaillant avait produit le Joker, anti-héros qui suscitait compassion et empathie. Il était pourtant devenu le symbole d'une révolution anarchiste au message démagogique et populiste, plutôt à droite de l'échiquier politique, tant dans le film qu'en dehors du film. Si le choix de la comédie musicale avait déjà détourné une bonne partie des spectateurs, le choix de déconstruire ce symbole, ou pour le moins de montrer que ce symbole est profondément négatif, finit de rebuter les derniers partisans du film. Car en effet, Arthur Fleck est de nouveau la victime ici. Il est victime du système pénitentiaire dont les traitements infligés aux prisonniers sont inhumains. Du fait de son trouble psychiatrique, il ne devrait d'ailleurs pas être en prison. Il est également victime du système judiciaire qui cherche à le faire reconnaître coupable et le condamné à mort malgré sa maladie. Cette dernière n'est d'ailleurs que très peu évoquée par le système, qui soit cherche à la cacher avec des médicaments en prison, soit à la nier lors du procès pour faire condamner Arthur. Le système médiatique et capitaliste cherche de plus à exploiter la notoriété du Joker et donc son malaise, en réalisant des séries sur lui ou en lui accordant des interviews. Cela contribue par ailleurs à attiser la passion de ses fans. La première est Harley Quinn qui cherche ici aussi à l'exploiter et à tirer parti de son image de Joker, même si cela se fait au détriment d'Arthur (sa santé mentale mais aussi son procès). Finalement, rien n'a véritablement changé pour lui, personne ne le remarque ni ne fait attention à lui et à ses véritables besoins (si ce n'est pendant un court moment son avocate). Arthur lui même souffre de son double et des crimes qu'il lui a fait faire. Il renonce finalement de lui-même à son personnage dans un dernier moment de lucidité. Cela déçoit non seulement ses soutiens dans le film mais aussi les fans du premier film, qui comprennent que Joker ne peut être un symbole. Todd Phillips explique avec fatalisme la création d'un méchant dans un Etat (ville) failli mais ne le défend pas pour autant. Sa révolte est compréhensible, voire peut-être légitime mais pas dans la manière employée. Arthur finit par être assassiné par un de ses fans, probablement avec la complicité des gardiens. Si cela est inhabituel pour Joker, et frustrant pour les fans du personnage, il faut comprendre que ce n'est qu'Arthur Fleck qui meurt. Joker, en étant que symbole nihiliste du chaos survit. Il survit toutefois uniquement chez les fous et les violents. Même le double d'Arthur Fleck lui aura été volé, victime d'une société qui l'a totalement détruit, exploité et humilié.


En définitive, Todd Phillips prend le pari audacieux de revenir avec une comédie musicale pour Joker Folie à deux, avec une histoire qui vient désacraliser celui qui avait été érigé en symbole. Habilement réalisé, ce parti-pris sera frustrant pour certains...


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samedi 5 octobre 2024

 

Synopsis :

César est un inventeur et urbaniste de génie de la nouvelle Rome. Utopiste, il pense être capable de guérir la ville par l'urbanisme...

Commentaire :

L'Histoire de la réalisation

Oeuvre testamentaire de Francis Ford Coppola, Megalopolis y concentre sa science de la réalisation. L'ensemble des artifices du cinéma y est présent. Du traveling compensé, à l'incrustation, en passant par les split-screens et les œillets, peu de films présentent autant d'effets pré-CGI. Le film présente à certains moments des influences expressionnistes comme les scènes où les ombres sont projetées sur les murs. Les plans sont constamment très riches du fait d'un décor foisonnant et des effets spéciaux. Si le réalisme de l'environnement n'est pas toujours convaincant, nous garderons en tête qu'il s'agit d'une fable de science-fiction et qu'à ce titre, la réalisation possède nécessairement une dimension onirique et poétique. Toutefois, la mise en scène s'apparente plus à un hommage érudit de l'Hollywood passé qu'à une proposition nouvelle pour le cinéma de science-fiction. Un cachet presque daté. Le montage est lui particulier, parfois décousu, dans des scènes qui le justifient mais cela ne rend pas nécessairement le film toujours facile à suivre, d'autant que l'intrigue semble arriver aussi parfois par fragments. La musique, confiée à Golijov et VanderWaal, évoque parfois les péplums des années 60 mais sait également se fondre dans les scènes moins théâtrales. Ainsi le film est techniquement riche et intéressant, il s'agit incontestablement d'une vraie proposition de cinéma bien que la narration n'aide pas à l'immersion. 

De nombreuses thématiques peu creusées ou peu lisibles

Si la narration n'aide pas à la compréhension générale, l'univers de la nouvelle Rome demande en plus de bonnes connaissances sur l'antiquité romaine dans sa période impériale afin de pouvoir s'accrocher au contexte. Il reste toutefois la possibilité de comprendre le fonctionnement de cette ville décadente avec d'autres références comme la ville de New York des années 80, voire même Gotham en tant que mégapole dystopique. Une fois cela dit, la grande thématique est celle de la ville "empire" au bord du précipice qui voit difficilement cohabiter la masse et les élites. L'élite est richissime, plurielle et en rivalité et se compose des banquiers, politiciens ou bien intellectuels, toutes ces différentes catégories étant plus ou moins liées. Vivant dans leur monde et proposant des jeux au bas peuple, cette élite pose la question de l'équilibre de cette civilisation car la chute de Rome guette. Elite critiquée certes, mais sans pour autant que la fable ne la condamne totalement. En effet, Cicéron n'est que partiellement ambigu, il est un père aimant tout au plus conservateur. Toutefois, le héros et celui venant apporter une solution aux méfaits du capitalisme et à la décadence est César, lui même issu de l'élite. Il est certes un génie et un philosophe utopiste, il semble tout de même assez éloigné des préoccupations réelles du peuple bien que moins hypocrite que Cicéron qui est dans l'optique "du pain et des jeux". Pourtant, c'est lui qui trouvera une solution miracle pour la Cité, faisant de ce film une œuvre profondément technophile. Adepte du progrès, Coppola est finalement un homme de son temps. Le seul se préoccupant en revanche du peuple pour ses propres intérêts est Claudio, sorte de Donald Trump, démagogue et agitant les plus bas instincts des foules, proche par ailleurs des milieux d'extrême droite. Il est le vrai représentant de l'élite critiquée et punie dans la fable. La fable étant un genre à morale, Coppola adopte une position plus aristocratique que pro-démocratique. César trouve une solution grâce à son génie et non en s'appuyant sur la réalité des masses, quand Claudio se réjouit lui, de réunir les masses incultes. 
Au-delà du message technophile et aristocratique (au sens noble du terme comme pourrait le définir Aristote), plusieurs thématiques sont rapidement abordées par César. Elles sont toutefois sans réel lien avec l'intrigue, sortes d'interludes dispatchées dans l'œuvre. Il est fait mention de Dieu ou des dieux, inventions humaines, permettant le contrôle des foules par certains. Toutefois, ces inventeurs ont besoin de cet intermédiaire imaginaire pour manipuler les foules. Le pouvoir vient des Dieux, eux mêmes issus des humains, mais les humains ne peuvent exercer directement le pouvoir. César s'interroge aussi sur l'art et sa nature profonde et sa relation au temps. L'art n'est finalement qu'un instant figé du temps. D'autres thématiques sont également disséminées de manière plus ou moins convaincantes.


En définitive, cette vraie proposition de cinéma signée Coppola n'accrochera pas tout le monde, tant la dimension ésotérique de cette fable et sa dimension onirique au détriment de la fluidité de la narration rendent l'immersion difficile.  


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