Les sorties de la semaine

samedi 30 janvier 2016

The Boy


Synopsis :

Greta cherche à prendre du recul sur sa vie. Pour cela, l'américaine part en Angleterre et trouve une famille qui habite dans un beau manoir isolé et qui recherche une nounou. Job rêvé pour Greta, elle découvre alors que l'enfant qu'elle doit garder n'est qu'une simple poupée...


Commentaire :

Mise en scène à propos

William Brent Bell se révèle ou plutôt confirme être un excellent réalisateur de film fantastique et d'épouvante et rejoint ainsi les maîtres contemporains du genre comme James Wan. Le film d'épouvante demande un réel savoir faire de mise en scène pour installer le malaise autant par les sons, les angles de caméra, l'éclairage que le rythme du montage. The Boy installe très rapidement une atmosphère de malaise qui ne fait que se renforcer jusqu'au climax insoutenable. Le film est très maîtrisé et n'est pas dans la surenchère d'effets, d'où son côté appréciable. Quelques jump-scares très bien placés, légèrement en contre-temps suffisent à faire sursauter aux moments fatidiques. En effet, le genre fantastique a d'abord pour objectif de produire le malaise et non la peur, il s'agit donc d'un film à ambiance. Les acteurs sont très justes et leurs rôles bien écrits : réalistes et septiques au début comme l'est ou devrait l'être le spectateur.

Genre intéressant (spoilers)

Ce film est une réussite notamment parce-qu'il a compris ce qu'est le genre du fantastique. Le fantastique est le genre du doute, où le paranormal n'est jamais complètement confirmé et pourrait toujours se révéler être un réel, peu probable néanmoins du fait de l'accumulation des éléments. Les seuls événements relevant du merveilleux ont lieu dans le rêve, ce qui est bien pensé. Le film prend intelligemment l'initiative d'ouvrir plusieurs pistes afin que le doute soit constant et afin d'offrir plus de surprises. L'excellent choix de la poupée est également un élément permettant de comprendre que l'équipe a compris le genre du fantastique, Celle-ci n'a pas besoin d'être effrayante ou moche. C'est justement parce-qu'elle semble innocente mais placée dans un contexte scénaristique particulier qu'elle va déranger. Ici, le réalisateur joue sur le décalage entre réalité et notre monde monde mental. Il a également compris le genre dans le dénouement de son oeuvre. Le fantastique ne dure pas indéfiniment, la situation tend toujours à résoudre le doute pour faire apparaître la vérité de l'oeuvre. Très souvent, ce genre de film se conclue en faisant le choix du merveilleux mais ici The Boy prend le chemin de l'étrange (terme littéraire). C'est à dire que tout va trouver une explication rationnelle et en ce sens, ce film est original. Peut-être même un peu décevant pour les habitués du genre au cinéma. En définitive, le film nous plonge réellement dans le genre littéraire populaire du XIXème siècle où la limite entre la rationalité et notre imaginaire délirant n'est jamais claire. 

Les thématiques : fragilité psychologique et croyances (spoilers)

Le choix de l'étrange permet finalement de donner à ce film un fond thématique intéressant qui n'aurait pas été possible avec le choix du merveilleux. The Boy montre qu'une fragilité psychologique issue de traumatismes divers favorise un état d'esprit enclin à croire tout et son contraire. Evidemment, ce qui arrive à Greta sans être paranormal relève de l'exceptionnel mais son état psychologique explique une certaine crédulité. 

En définitive, cette réalisation se révèle être un très bon film fantastique (au sens littéraire) d'épouvante, autant bien pensé artistiquement que bien ficelé scénaristiquement. Original dans le formatage contemporain du genre.


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vendredi 8 janvier 2016

Les Huit Salopards



Synopsis :

Le chasseur de prime John Ruth emmène Daisy Domergue à la potence. Sur le long chemin jusqu'à Red Rock, il croise le commandant Warren puis le soit-disant Shérif Chris Mannix. Pris dans un blizzard, ils doivent passer quelques jours dans une auberge en compagnie d'inconnus...


Commentaire :

Le retour en grâce de Tarantino

Tarantino signe avec Les Huit Salopards un excellent film. Le réalisateur star avait tendance depuis quelques productions (Django Unchained, Inglourious Basterd) à caricaturer son cinéma, notamment dans la dernière partie de ses films. On retrouve ici un film qui tout en étant incontestablement de Tarantino reste très contrôlé et appliqué. Certes le côté pop corn est moins présent, mais on gagne grandement en cohérence globale et en finesse. D'abord apparenté au western, le film quitte les codes du genre pour se rapprocher du thriller en huis-clos. Le final quant à lui, emprunte aux codes des films d'horreur. Parfois violent comme dans tout film de Tarantino, un humour noir, cynique, permet toujours de rendre la vision supportable. En tant que huis-clos, le film propose des dialogues remarquables capables à eux seuls de maintenir une grande tension et de rendre tous les personnages passionnants et intriguants. Les conversations sont la spécialité de Tarantino; le film repose pour notre plus grand plaisir sur un scénario imprévisible qui se dévoile tout doucement au gré des conversations. Le film est rythmé malgré que l'action ne se déroule presque exclusivement que dans un lieu et que les dialogues soient la chair de l'oeuvre à la manière d'une pièce de théâtre. En effet, ce sont les dialogues qui entraînent les changements de ton : tension, relâchement, humour. Les dialogues et le découpage prennent le temps de travailler en profondeur les personnages, ce qui est particulièrement jouissif à l'heure des blockbusters aux personnages archétypés. Cela est appuyé par un casting excellent. La mise en scène est également remarquable en s'appuyant sur l'univers des westerns des années 60 pour poser le cadre général : plans iconiques, le grain de l'image. Les paysages magnifiques et rappelant la grandeur des espaces sont typiquement ceux de westerns avec la particularité d'un environnement enneigé. Par exemple, les plans de paysages présentant une petite barrière de bois traversant le cadre revoient explicitement au genre. Le mixage sonore est particulièrement réussi et contribue à ancrer le récit; les sons d'ambiance, de vent et de tempête sont incroyables. Il est également nécessaire de souligner l'excellente bande musicale de Ennio Morricone qui lorsqu'elle se fait entendre déploie toute sa puissance.

Un huis-clos où les thématiques importent peu

Les thématiques sont présentes mais non centrales. L'enjeu du scénario n'est pas particulièrement de les mettre en avant mais de rester concentrer sur l'histoire. Néanmoins, il est possible de souligner deux thématiques. La première est le soupçon puisque en effet le film repose sur la mise en présence des huit individus. Certes, ils discutent énormément mais chacun garde sa part d'ombre. Tout le scénario fonctionne sur ce mystère ambiant. 
La deuxième thématique plus secondaire est celle du racisme. Cette thématique est plus contextuelle, deuxième partie du XIXème siècle aux Etats-Unis, qu'un élément prépondérant pour comprendre l'avancement de l'intrigue. 
Aucun des personnages en présence n'étant réellement bons, ce sont huit salopards, aucune morale ou éthique ne se dégage vraiment. Certains personnages essayent d'avoir des discours sur des concepts compliqués comme la justice mais étant donné leur caractère, ils ne vont pas bien loin sur le fond. Les dialogues servent l'histoire, pas un message.

En définitive, Les Huit Salopards est un excellent film de Tarantino. Son style est prégnant mais non caricatural contrairement à ses dernières réalisations. Les dialogues font mouche tout au long de l'histoire dans ce thriller se déroulant en huis-clos où rien n'est prévisible.




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samedi 2 janvier 2016

Joy



Synopsis :

Joy est l'espoir de sa famille et particulièrement de sa grand-mère. Cette dernière voit en sa petite fille une future femme forte qui sera la fierté de sa lignée. Malheureusement, les vicissitudes de la vie ne mènent pas toujours là où l'on souhaite et Joy doit se battre sur tous les fronts pour simplement tenter de joindre les deux bouts....


Commentaire :

David O.Russell, une mise en scène réfléchie

Avec David O.Russell, on est toujours loin de la mise en scène purement fonctionnelle. Cette dernière est complexe si bien qu'il est impossible de faire une analyse poussée en sortie de séance. Néanmoins, il est toujours plaisant de regarder un film qui préfère les mouvements de caméra aux cuts. Le film commence presque à la manière d'un Joe Dante avec une mise en abîme par le biais de fictions télévisées. Symbole de la vie parallèle et artificielle dans laquelle vit la mère de Joy, l'écran dans l'écran disparaît lorsque celle-ci arrête de vivre dans une fiction. La mise en scène est toujours au service des personnages, soit pour insister sur leur visage et leur place dans l'environnement avec des travellings avant, soit pour nous mettre au cœur de leurs émotions avec des plans subjectifs, allant jusqu'aux scènes dans l'imaginaire des personnages. Le scénario est l'histoire d'une Cendrillon moderne sans prince et très combative qui lutte pour se faire une place dans une société qui ne croit pas en elle. L'histoire est particulièrement prenante, le combat de Joy étant constant. Après le décevant American Bluff, David O.Russell retrouve un scénario plus simple et épuré dans lequel on peut se projeter, à l'instar de l'excellent Happiness Therapy. A chaque palier passé par l'héroïne, non sans mal, l'univers rock de David O.Russell resurgit comme à son habitude avec une bande-sonore dans laquelle on retrouve notamment les Bee Gees. 

Jennifer Lawrence sous les projecteurs

David O.Russell excelle dans la mise en valeur de ses personnages. Lorsque c'est Jennifer Lawrence qui est au centre de ses préoccupations, le résultat est époustouflant. Elle crevait l'écran dans Happiness Therapy, lui valant très justement l'oscar, mais elle devait partager la vedette avec Bradley Cooper. Dans American Bluff son second rôle était plus que remarqué, mais là plus encore, son temps d'écran était limité. Dans Joy, Jennifer Lawrence est le seul et unique personnage principal et son interprétation est à couper le souffle. Sur 30 ans, son personnage passe par tous les états imaginables. A la juste limite de la théâtralité dans les précédents David O. Russell, elle délivre ici un jeu plus doux et d'une justesse renversante. Jennifer Lawrence est définitivement meilleure dans les films faisant une large place aux personnages plutôt que dans les films à histoire (Hunger Games). Les autres acteurs coutumiers de David O.Russell, Bradley Cooper et Robert De Niro sont évidemment excellents mais quelque peu éclipsés par JenLaw. 

Les thématiques du film, du féminisme à l'illusion du rêve américain

Mis en avant textuellement par le film, le féminisme est présenté comme le thème central. Concrètement, la première partie du film insiste en effet sur le rôle des femmes et notamment sur la lignée matriarcale dans la famille de Joy. Une femme moderne à l'image de Joy, n'aura besoin de personne, pas même du prince charmant. Néanmoins, Joy n'est pas tant arrêtée dans son parcours par son statut de femme que par un ensemble d'institutions : famille et monde formaté du travail, en un mot un système qui brime et brise toutes les tentatives du personnage. Il y a en effet une rupture dans la représentation de la femme forte entre la grand-mère de Joy, qui souhaite que sa petite fille épouse quelqu'un de bien, et Joy qui se dit et se veut autonome. Néanmoins, dans le monde dans lequel se bat Joy, sa qualité de femme ne semble pas être un obstacle. Le personnage se singularise plus par sa classe sociale proche du prolétariat et par son caractère fort que par son sexe. D'ailleurs, à aucun moment sa qualité de femme ne lui sera formellement reprochée ou ne constituera en elle même un obstacle. 
Cela nous amène donc au sujet principal du film : la combativité en société. Ne pas perdre de vue ses rêves d'enfant, progressivement écrasés par la vie, donne à Joy la force de continuer le combat. Le personnage développe une forme de résilience face aux déboires de la vie. Comme dans Happiness Therapy, l'idée de devenir acteur de son destin est central. Cela s'oppose frontalement à l'attitude de la mère de Joy qui vit une vie imaginaire par le biais de la télévision. En revanche, il s'agit ici de trouver sa place dans la société alors que Happiness Therapy était une recherche du bonheur personnel. En ce sens, le message de Joy est moins universel et romantique mais plus pragmatique et matérialiste. Le combat de Joy est un combat contre la réalité, un combat contre le déterminisme social. Chose intéressante à noter, alors que le monde des affaires est décrit comme un milieu hostile, la famille est tout autant un obstacle qu'un marche-pied pour réussir. 
Enfin, nous dirons quelques mots du concept du rêve américain qui paraît traverser les deux derniers sujets. Il pourrait être facile de penser que David O.Russell mette en avant cette qualité du monde sociétale étasunien, qui factuellement est d'ailleurs toute relative. En vérité, jamais nous ne savons comment le combat de Joy va se terminer. Les obstacles sont tels que le personnage dira lui même que ce système n'offre pas d'opportunité ou d'occasion d'exprimer son être et sa créativité, bien au contraire. En définitive, le parcours de Joy tient plus à sa combativité qu'aux soit-disant qualités intrinsèques du système américain. Son parcours étant un exploit contre-nature (contre système), il est donc impossible de dire que David O.Russell fasse l'apologie du rêve américain. Il s'agit presque autant d'une illusion que les fictions de la mère de Joy. En cela, le message est presque subversif. 

En définitive, David O.Russell relève la tête après American Bluff. Il offre à Jennifer Lawrence un rôle de premier rang pour déployer toute sa justesse interprétative. Le film est prenant, le message est fort.  



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