Les sorties de la semaine

dimanche 26 janvier 2014

Le vent se lève


Synopsis 

Jirô est un jeune garçon passionné par l'aviation et rêvant de voler. Doté d'une mauvaise vue, il choisit la voie de l'ingénierie afin de créer l'avion parfait. Jamais, il ne renoncera à la réalisation de son rêve, quitte à se refermer sur lui même et à oublier un monde courant à sa perte. L'important est de "tenter de vivre"...


Le commentaire

Du merveilleux au réalisme 

Après avoir réalisé dix films emprunts de magie, le faiseur de mondes oniriques, Hayao Miyazaki délaisse les rêves pour se consacrer au monde réel. Ce biopic et drame de l'ingénieur japonais Jirô Horikoshi permet à Miyazaki d'aborder un thème qui le passionne et qui transparaît dans un grand nombre de ses long-métrages : le vol et les avions. Pourtant, si Miyazaki inscrit son histoire dans un cadre réaliste, c'est avec sa vision qu'il choisit de traiter le sujet.  Ainsi, si les actions et réactions des personnages sont réalistes et les faits avérés (historiques), visuellement, il s'agit d'une interprétation du monde autour du vent, à l'image de la représentation du tremblement de terre de Kobe. Pour ce dernier, Miyazaki en grand amateur du mouvement, nous représente graphiquement un tremblement de terre par son essence même : une onde de choc, avec pour seul bruit le vent. Le vent est souvent invisible, représenté comme faisant bouger des objets, des vêtements, des cheveux... Néanmoins, de temps en temps, grâce aux nuages et aux fumés, le vent est représenté comme une masse en mouvement. Nous comprenons que le vent est alors une masse en mouvement mais qui ne se voit pas. En jouant sur les différents plans du dessins, le maître organise et explique le déroulement des choses. En fait, Miyazaki redessine le réel pour qu'il n'en soit que plus clair.
Epuré de toute magie foisonnante, Le Vent se lève est sans doute l'oeuvre la plus poétique, lyrique et émouvante du vieux maître japonais. Par la même, il s'agit de la quintessence de son art. Le titre du film provient du poème de Paul Valéry Le Cimetière Marin. Plusieurs fois, le vers "Le vent se lève, il faut tenter de vivre" est prononcé dans le film et cela en français même dans la version originale. Tout était déjà présent dans le titre : le sujet (l'aviation ou plus largement le domaine aérien) et la manière de le traiter (la poésie). Un autre poème est complètement inclus dans le film, il s'agit de Qui a vu de le vent de l'anglo-italienne Christina Rossetti. Pour cause, le vent est éminemment un sujet poétique, doux, fort, violent, tranchant et imperceptible, cela sublimé par la musique de Joe Hisaishi. Le vent est finalement un des personnages principaux du film, il est tout autant l'élément qui nourrit le grand incendie de Kobe que l'élément qui provoque la rencontre (par deux fois) entre Jirô et sa bien-aimée Naoko. Le vent est également l'élément qui fera définitivement s'envoler l'image de Naoko dans le rêve de Jirô, métaphore de la tragédie vécue dans le monde réel. Néanmoins, le vent est avant tout le support du film de Miyazaki à l'image du support qu'il est pour les avions de Jirô. Qui n'a pas les grilles de lecture pour aborder ce film, trouvera surement ces métaphores lourdes. D'autant plus, qu'en tant qu'occidentaux, nous sommes habitués au schéma narratif hollywoodien, schéma très dense en action où les temps morts et les temps poétiques ont presque disparu. Heureusement, pour ceux désarçonnés par l'absence d'épopée magique, Miyazaki met en scène également les rêves du héros, ce qui palliera quelque peu à l'âpreté du monde réel.
Il faut également voir dans ce film, le point final d'une filmographie incroyable. C'est souvent la ponctuation d'une phrase qui en donne tout son sens, et c'est ce que produit Le vent se lève avec la filmographie de Miyazaki. Le manga Nausicaä de la vallée du vent qui fut par la suite adapté pour être l'un des premiers long-métrages de Miyazaki se terminait par "il faut tenter de vivre". Ainsi, c'est par son oeuvre ultime que Miyazaki explicite cette phrase et sa passion pour le vent (auparavant, il l'avait simplement montrée). Le vent est poésique et Miyazaki est un poète visuel. La création n'a que plus de sens lorsque le créateur se dévoile. Miyazaki ne dépeint plus les rêves mais le rêveur. 


Un film de Miyazaki sur Miyazaki

"Ce qui compte pour un ingénieur, c'est l'inspiration" nous dit Giovanni Caproni (ingénieur d'avion italien) dans le film. Après avoir présenté le jeune Jirô comme un rêveur, Miyazaki nous donne donc un indice phare pour comprendre qui est ce jeune homme. Il s'agit d'un ingénieur mais pour Miyazaki, il sera un artiste, rêveur et passionné. A vrai dire, ce jeune homme binoclard et fumant devant sa planche de dessins, n'est pas n'importe quel artiste : après deux minutes de réflexion on reconnait rapidement Miyazaki lui-même, le créateur de rêves, celui toujours à la recherche de l'inspiration. Toutefois, l'intimité de l'oeuvre ne s'arrête pas là : Jirô est un ingénieur japonais travaillant sur l'avion "Zéro", marié à Naoko, une jeune femme atteinte de la tuberculose. Le père de Miyazaki était directeur de Miyazaki Airplane chargé de construire les avions "Zéro" et sa mère a été atteinte par la tuberculose. Ainsi, Miyazaki ne se met pas seulement en scène, il met également en scène ses parents. En se mettant à place de ses parents, cherche t-il à les comprendre ? Cherche t-il a comprendre leur vie et leurs décisions ? Difficile de l'affirmer, nous en faisons ici l'hypothèse. Dans tous les cas, il s'agit du film le plus intimiste de sa filmographie. Le vent se lève révélera ceux passionnés par Miyazaki au sens premier du terme, non pas par son travail mais par sa personne même. Avec toute la grâce et la maestria qu'on lui connait, Miyazaki a décidé de quitter la scène mondiale par un film personnel.


Au-delà de toute polémique

Il est nécessaire de traiter le sujet de la polémique, de nombreux journalistes et journaux bien-pensants ayant critiqué le pauvre Miyazaki. Miyazaki, en représentant un ingénieur poursuivant coûte que coûte son rêve de créer des avions, qui plus tard sèmeront la terreur en Asie, est -il militariste ? Au vu de la filmographie du vieux maître répondre par l'affirmatif relève de l'ineptie. Néanmoins, en se limitant à ce film, qu'en est-il ?
Pour ceux reprochant à Jirô d'être un personnage pour lequel on n'a que peu d'empathie (et c'est subjectif), la raison est là. Miyazaki prend une certaine distance avec son personnage. Le personnage lui même ne fera pas de réel commentaire sur les conséquences de son action. Il remettra en question le fait que les militaires veuillent armer son avion mais n'ira pas plus loin. En fait, Miyazaki fait lui-même le commentaire de l'époque par le biais de l'histoire du héros et de la représentation des personnages environnants : le résistant allemand dit que l'Allemagne et le Japon vont "éclater", les allemands sont représentés comme peu sympathiques et méprisants, la police secrète japonais recherche Jirô, les militaires japonais sont représentés comme de petits caporaux aigris et surexcités.
Par ailleurs, dans une interview le vieux maître dit "il est facile d'accuser quelqu'un plusieurs années après les faits". Si Miyazaki cherche dans ce film à représenter ses parents (hypothèse de la partie précédente), c'est pour essayer de les comprendre. Il y a néanmoins une différence entre comprendre et accuser. Son combat pour la paix, Miyazaki l'a mené tout au long de sa filmographie, mais peut-être ici voulait t-il d'abord comprendre avant d'accuser.
Enfin, si Miyazaki est résolument un pacifique, il ne peut pas dire à son personnage de ne pas rêver. Le rêve et la capacité de créer des oeuvres complexes sont des caractéristiques qui distinguent l'homme du règne animal et qui distingue et distinguera l'homme des machines intelligentes. Le propos de Miyazaki est que si l'on interdit à l'homme de rêver, il ne lui reste plus rien. D'ailleurs, ce n'est pas l'ingénieur qui fait la guerre, il n'a pas créer une arme de mort mais réalisé une machine pour voler. La folie des hommes ne les auraient-ils menés dans tous les cas à la guerre ? "C'est ce monde qui est maudit" nous dit Jikô dans Princesse Mononoké. Le propos reste le même ici. Jirô continuera égoïstement son rêve, tout en avouant cet égoïsme. Les génies / rêveurs sont dévorés par la malveillance du système alors qu'ils sont des êtres pures et naïfs. 
Si nous faisons le parallèle entre Jirô et Miyazaki, une autre idée surgie également. Le vieux japonais ayant dit dans une interview que son film était d'actualité, nous pouvons aussi penser qu'il critique par là même, la politique militariste (avis de Miyazaki) de Shinzo Abe (Premier Ministre japonais). Ainsi, Miyazaki contribue lui même contre son grès à la politique du softpower japonais, c'est à dire, à la bonne image du Japon pour le compte d'Abe. Miyazaki affirme que l'époque actuelle lui rappelle les années 30 dans certains aspects. Pour autant, cela doit-il l'arrêter de rêver ? Il répond égoïstement que non. Et puis s'il critique la politique militariste de Shinzo Abe, Miyazaki est-il militariste ? Alors que certains voudrait qu'il évoque les erreurs du passé, Miyazaki nous dit de ne pas en commettre pour l'avenir.

Un maître est reconnaissable lorsqu'il n'est pas dans son élément : ici pas d'héroïne, un monde réel (sans magie et par voie de conséquence triste) et une oeuvre destinée aux adultes. Il ne lui reste que du vent, sa passion certes, mais sorti de tout repère. Il en fait son oeuvre ultime.

19/20



lundi 20 janvier 2014

Les Brasiers de la Colère


Synopsis

Russell travaille dans l'acierie de Braddock, ville américaine située dans la "Rust Belt" à l'industrie déclinante. Ce dernier vit durement mais dignement arrivant à pourvoir à ses besoins et à ceux de son amie, Lena. Son frère, Rodney, connait lui une vie plus mouvementée, jonglant entre ses séjours en Irak avec l'US Army et sa vie à Braddock. Affecté par la guerre et par la détresse de l'Amérique, il doit trouver une solution pour rembourser ses dettes. Il commence alors à fréquenter les milieux clandestins de la boxe pour gagner de l'argent. Russell ignore la vie que mène Rodney et souhaiterait l'aidé à refaire sa vie dans leur ville...


L'Amérique ouvrière de Scott Cooper

Ce film dépeint avec une volonté de réalisme l'Amérique ouvrière. Il pourrait être un film des années 80 mais celui-ci s'ancre dans la période pré-Obama, pour souligner que cette réalité est toujours bien présente aux Etats-Unis. Tout est sobre dans ce film, à l'image de la vie de ces américains. Pour autant, la mise en scène est soignée et sait très bien ménager le suspens. 
Toutefois, il est à se demander si l'histoire n'est pas une excuse pour le réalisateur Scott Cooper pour dépeindre une Amérique qu'il aime tant filmer. En effet, les péripéties des protagonistes servent avant tout à nous montrer leurs réactions et l'évolution de leur comportement. Le réalisateur paraît s'intéresser à ses personnages plus qu'à leurs histoires, voulant faire d'eux les véritables héros de l'Amérique, bien loin du Captain America. Néanmoins, cette volonté donne un petit côté documentaire au film, limitant sa puissance narrative. Ce film oscille entre deux intentions de l'auteur : décrire et raconter. Quoiqu'il en soit, il s'agit d'un choix assumé qui satisfera surement les amateurs de films teintés de réalisme. Cette même sobriété qu'impose le réalisme pourra aussi en déranger certains.
Le jeu d'acteur de ce film est excellent, il faut dire que celui-ci est marqué d'un casting 5 étoiles. Nous saluerons ici la performance de Woody Harrelson qui a définitivement le profil parfait du méchant. 


Pas de morale, simplement la réalité (spoilers)

Concernant les thématiques, il est difficile de les formuler telles quelles, du fait du côté documentaire du film. En effet, nous sommes plus en face d'un sujet de présentation/description (l'Amérique ouvrière) que face à une thématique. La vengeance pourrait être la véritable thématique du film, mais celle-ci n'apparait qu'à partir d'un certain moment. Sur ce point, le film n'est pas moralisateur, au sens de bien-pensant. En effet, la réalité n'est pas forcément morale et ce film souhaite le montrer. Il souhaite aussi souligner qu'on ne peut pas juger des individus vivant dans une situation difficile. Les personnages n'ont pas le choix entre le bien et mal, seulement entre plusieurs solutions peu attrayantes. Le film ne donne pas raison à la vengeance, il démontre simplement que dans la réalité ou dans une certaine réalité (celle des personnages), il s'agit de la voie la plus logique et la plus compréhensible. Un autre choix aurait été contraire à la volonté de réalisme. Il est important de souligner ce dernier point, car le film n'est pas une ode à la vengeance, chose que certains pourraient prétendre.

14/20