Les sorties de la semaine

jeudi 26 juin 2014

Le Conte de la Princesse Kaguya


Synopsis :

Un jour, un grand-père coupeur de bambou trouve une minuscule princesse sortie d'une tige de bambou. Comprenant qu'il s'agit d'un cadeau du ciel, il décide de l'élever et d'en prendre grand soin avec sa femme. La petite princesse grandit rapidement et devient vite amie avec les enfants de la montagne. Néanmoins, ses parents adoptifs envisagent un tout autre destin pour celle qui doit devenir une grande princesse...

Commentaire :

Une oeuvre d'art

Isao Takahata marque son grand retour au grand écran alors que son collègue co-fondateur des studios Ghibli, Hayao Miyazaki prend sa retraite. Après presque 15 ans d'absence, son style graphique tranche très fortement avec les productions de style Miyazaki (qu'elles soient de Miyazaki père ou d'autres). Le choix esthétique de l'aquarelle rappelant les estampes japonaises voire le style hikime kagihana (un trait pour les yeux et un crochet pour le nez) est tout à fait admirable ici. Les scènes de mouvement où les dessins sont quasiment abstraits avec leurs contours flous sont encore plus sublimes. Le dessin préfère alors la représentation du mouvement en lui-même plutôt que de représenter l'objet en mouvement.
Pour raconter le plus ancien des contes japonais, le recours à un style graphique rappelant la tradition esthétique du Japon est tout à fait bien trouvé. En outre, cette esthétique correspond parfaitement au genre du conte, en ancrant l'histoire dans un monde merveilleux, imaginaire, poétique et lyrique. Ce choix artistique n'est pas surprenant de la part d'Isao Takahata, celui-ci étant un très fin connaisseur de l'histoire culturelle du Japon, amateur des peintures des époques classiques et médiévales. Néanmoins, l'image ne suffit pas à faire d'un film une oeuvre d'art; la bande sonore est un élément tout aussi important. Toutefois, à partir du moment où l'on sait que ce n'est autre que Joe Hisaishi derrière le pupitre, tout est dit.

Un voyage au coeur du folklore japonais

A bien chercher, les origines de ce conte dans son iconographie ne sont pas Shintô. Quoique, lorsqu'il est question de la Lune comme dans ce conte, il serait tentant de faire référence à la Déesse Tsukuyomi. Néanmoins, le lien entre la Princesse et cette déesse de la mythologie japonaise ne semble pas établi. En revanche, l'iconographique bouddhique est très visible, et cela dès la première apparition de la Princesse, dans une pose de méditation. L'iconographie bouddhique réapparait encore plus clairement à la fin du film, avec quelques traits rappelant même l'hindouisme. Ce choix iconographique doit surement être mis en relation avec la possible origine tibétaine du conte. Bien que l'histoire n'ait aucun rapport avec le bouddhisme hormis une référence à une des périodes de vie de Bouddha, ce parti-pris en terme de représentation contribue à ancrer le conte dans le folklore japonais et asiatique. 

Un conte de temps faibles et de temps forts

La caractéristique de ce film d'animation est sa durée. Avec 2h17, il s'agit du plus long film d'animation du studio Ghibli. Le film prend son temps en étant parsemé de quelques temps faibles, qui ne provoquent pas pour autant l'ennui puisque l'oeil est occupé à admirer la beauté du trait et l'oreille à apprécier la beauté de la musique. Ces moments de poésie ou d'humour finement dosés contribuent à orner ce voyage artistique. Il faut néanmoins être en condition pour prendre part à cette aventure, sans quoi l'admiration fera place à l'impatience. Dites vous bien qu'une oeuvre d'art ne se parcourt pas en un clin d'oeil et que si le cinéma est lent, c'est parce-qu'il est contemplatif (ici pour le moins).

La morale du conte [Spoiler]

La morale du conte n'est pas si évidente parce-que le destin de la princesse est conditionné par un déterminisme divin et elle est peu mise dans des situations décisionnelles. Plusieurs réflexions parcourent le film (les conventions de la noblesse, les apparences) mais si l'on devait désigner la grande morale du conte; cela pourrait être que la richesse ne fait pas le bonheur, car la richesse vient avec de nombreux impératifs. La difficulté d'extraire la morale de ce conte est que contrairement à nos habituels contes Disney / Perrault, la morale bien que comprise ne peut aller à l'encontre du déterminisme. Pas de réel Happy End donc. 


17/20





mercredi 4 juin 2014

Edge of Tomorrow



Synopsis :

Dans un avenir proche, la Terre fait face à une violente invasion extraterrestre. L'Europe est presque totalement perdue mais un espoir demeure après l'exploit à Verdun du soldat Rita Vrataski. Le Major Bill Cage est lui sommé de prendre part au débarquement de Normandie qui est censé renverser définitivement le rapport de force en faveur des humains. Malgré son refus, Bill Cage doit débarquer dans la boucherie de Normandie et meurt après quelques minutes de combats. Il se réveille alors la veille du débarquement...


Commentaire :

Un film du genre "Tom Cruise"

La présence de Tom Cruise au générique d'un film signifie deux choses : le film sera de bonne qualité (une réalisation classique mais soignée) mais le déroulement de l'histoire et le rôle du personnage est plutôt prévisible. Tom Cruise, symbole d'une nation à vocation universelle, à la tâche de sauver le monde. Ce type de personnage correspond parfaitement à l'ambition du cinéma américain qui produit des histoires aux enjeux globaux. Sans se renouveler, Tom Cruise est évidemment excellent, mais soulignons que la personnalité lâche de son personnage en début de film est assez amusante. Elle tranche avec le personnage habituel bien que l'on sache que Bill Cage est amené à évoluer. Un plan particulièrement signifiant, pendant le débarquement, montre Bill Cage avec le casque qui lui tombe sur le nez, ce qui est assez cocasse sur Tom Cruise. Par son charisme, ce dernier a la fâcheuse habitude d'étouffer tous les autres protagonistes (dont le rôle est bien souvent atrophié) mais ici, la ravissante Emily Blunt apporte un réel vent de fraîcheur. Son personnage, héroïne au caractère froid, propose un pendant féminin à Tom Cruise, ce qui permet de centrer l'histoire sur un couple de personnages plutôt que sur un seul. Bien que Tom Cruise reste et soit la véritable star, Emily Blunt fait plaisir à voir dans un rôle "badass" qu'elle interprète superbement.

L'année des 70 ans du débarquement

Cette histoire, située dans un avenir proche, rappelle très fortement l'Histoire du XXème siècle. C'est peut-être pour cela que la sortie française se fait après bien d'autres, afin de se rapprocher de l'anniversaire du 6 Juin. La menace du film, quant à elle, rappelle fortement l'Allemagne Nazi, du fait que son épicentre soit le coeur de l'Europe et se propage vers l'Ouest. Alors que la France est presque totalement envahie, les dernières forces libres se sont réfugiées en Angleterre. Cette dernière est alors sous une menace directe d'invasion depuis le continent. A l'Est, les Russes et les Chinois tiennent difficilement leur front. Le débarquement en Normandie doit donc soulager le front Est et mener à la victoire. Le parallèle, déjà évident, est rappelé par une scène dans laquelle des personnages âgés se remémorent les années 40. Quant à la référence de Verdun, si elle rappelle la guerre 14-18, son utilisation contribue à ancrer l'histoire du film dans le passé, qui dans tous les cas renvoie à une menace venant de l'Europe orientale. Dans l'imaginaire collectif mondial, il n'est d'ailleurs pas dit que Verdun soit explicitement une référence de la Première guerre. En définitive, les parallèles sont voyants mais selon nous, ne servent pas un propos particulier. Nous ne savons pas pourquoi de tels parallèles ont été choisis. Concernant les reconstitutions des plages de Normandie, elles sont véritablement réussies, le spectateur est plongé dans un débarquement moderne. Le Paris apocalyptique est quant à lui un peu cliché pour un parisien (La Tour Eiffel tombée impeccablement sur le côté) mais la reconstitution  semble être "à point" pour un public mondial. 

Science-fiction

En plus d'être un film de guerre, ce long-métrage est bien évidemment un film de science-fiction. A l'origine, l'histoire est tirée du roman d'Hiroshi Sakurazaka. Pas étonnant lorsque l'on connait l'habilité des japonais à manier les sujets futuristes. L'exo-squelette est la trace la plus signifiante de l'origine japonaise, d'autant plus que l'exo-squelette de Bill Cage se bloque dans une interface en langue japonaise. Le fait que l'héroïne se batte avec une grande épée est également un indice allant en ce sens pour qui a déjà lu un manga. Soulignons ici que la science rejoint bientôt la fiction puisque les américains et les français ont développé des exo-squelettes pour leurs soldats, pour le moment moins perfectionnés que ceux dans le film. Quoi qu'il en soit, le design des exo-squelettes donnent un côté crédible au film, annonciateur des technologies à venir. Toutefois, le genre science-fiction est réellement confirmé avec deux éléments ; la boucle temporelle et les extraterrestres. Si les extraterrestres sont bien conçus au niveau du design, leur histoire est elle peu développée. Origine, intentions, rien n'est dit. Ils sont simplement les ennemis et à vrai dire, ils paraissent être plus un prétexte à la guerre et au voyage dans le temps qu'un élément de première importance. Néanmoins, cela n'est pas forcément un défaut car l'intérêt du film est ailleurs. L'intérêt se trouve donc principalement dans le voyage dans le temps qui, de par sa nature de boucle temporelle à court terme, ne pose pas de problème de cohérence. La seule question de crédibilité pourrait se situer autour de la capacité du cerveau à emmagasiner sans réel repos tant d'informations. 

Un film rythmé

Le principe de la boucle temporel est difficile à mettre en scène, le spectateur pouvant se lasser. Toutefois, le montage est bien pensé et grâce à l'incorporation de nombreuses ellipses et des indices laissant comprendre le recommencement interminable (sans que tout soit montré), le film reste rythmé et intéressant. Ainsi il s'agit d'un film où le montage est tout aussi important que le scénario et c'est à ce titre que le réalisateur Doug Ligman se distingue plutôt que dans une mise en scène uniquement fonctionnelle. Le petit bémol provient des batailles, qui nécessairement se succèdent à certaines périodes, à cause d'un mixage sonore écrasant/dérangeant constitué de rafales de tirs et de pilonnement. Heureusement, plus le film progresse plus il devient prenant. L'évènement final, classique, est très bien réalisé. 


16/20