Les sorties de la semaine

vendredi 28 août 2020

Tenet


Synopsis : 

Un agent américain intervient à Kiev lors d'une prise d'otage. Cet attentat n'est en fait qu'un leurre pour tenter de récupérer un mystérieux objet. Mais l'intervention échoue et l'agent se retrouve prisonnier d'agents spéciaux russes.... 

Commentaire :  

Cinématographiquement impressionnant 

Christopher Nolan est un technicien hors pair du cinéma qui honore sa réputation avec son Tenet. La réalisation est toujours au millimètre et le grand écran est bien entendu le vecteur le plus à même de rendre grâce à ce film. Soulignons d'entrée qu'il s'agit d'un film très riche en action et qu'elle est parfaitement rendue avec le recours le plus possible aux décors réels et aux cascades motorisées, choix de plus en plus rare. Pour la photographie, fidèle à Nolan, et les environnements montrés, Tenet est à voir. Le montage est lui particulièrement rapide, même dans les rares temps faibles, Nolan recherchant l'efficacité. A noter que l'efficacité est une notion plus ou moins relative ; ce qui semble évident pour Nolan, ne l'est pas forcément pour le spectateur et le film aurait gagné parfois a réexempliquer ce qu'il montre ou ce qu'il dit. Paradoxalement, le film dure 2h30, ce qui est long, même pour un blockbuster, mais sa durée n'est pas ressentie du fait du choix du montage (et de son scénario qui oblige le spectateur à être actif). Si le montage est rapide, il a la qualité d'être linéaire et chronologique pour simplifier une histoire qui elle voit le passé, le présent et le futur entre-mêlés. C'est un choix judicieux pour que l'histoire reste compréhensible, même si l'idée de mêlé le montage a dû traverser l'esprit de Nolan. Toutefois, Nolan a pu se faire plaisir ailleurs, non pas en mêlant son montage mais en mêlant les timelines directement dans le plan. Ainsi dans le plan, les différentes temporalités se croisent avec l'idée que certains éléments à l'écran remontent le temps alors que l'histoire, elle, continue son cours. C'est là la grande prouesse de Nolan, qui peut se voir comme le déroulement simultanée mais complémentaire de plusieurs bobines à l'écran, dont certaines sont rembobinées. C'est un exercice difficile qui nécessite une maîtrise totale de la narration pour que l'ensemble ait encore un sens. L'ensemble de l'histoire est soutenue par la bande-musicale de Ludwig Göransson, dans un style proche de Hans Zimmer qui sied bien au rythme de Nolan. A noter que la partition est néanmoins plus complexe que chez Zimmer. Nolan a la qualité d'avoir une réalisation qui laisse une place à la musique.

Un scénario nolanien simplement complexe [Spoilers]

C'est le scénario nolanien par excellence, celui qui ne laisse pas le spectateur dans une attitude passive. C'est un autre grand atout du film mais aussi sa principale limite. S'il est important de faire réfléchir le spectateur, le scénario doit aussi lui être accessible sans qu'il soit besoin de voir le film plusieurs fois. De plus, l'efficacité de la mise en scène de Nolan fait qu'il n'y a pas de doublon d'information, or ce choix est questionnable ici d'autant plus que Nolan cherche à mettre en image un concept complexe (une théorie de l'espace-temps). En outre, les enjeux ne sont pas toujours mentionnées explicitement, ce qui oblige le spectateur à réfléchir. Etrangement, la scientifique incarnée par Clémence Poésy nous dit de ne pas essayer de comprendre mais de ressentir, ce qui est particulier pour un film de Nolan. Peut-être est-ce aussi une recommandation de Nolan qui bien que cherchant à s'appuyer sur des théories scientifiques, sait qu'elles ne sont pas valables au-delà de l'échelle atomique. Et elles ne sont que des théories, donc pas encore validées. Celle du multivers n'est par ailleurs pas la théorie qui tient la corde actuellement dans le monde scientifique. Quoiqu'il en soit, les théories du monde quantique ne sont pas appliquables dans notre monde (à notre échelle), c'est ainsi qu'il faut peut-être interprété le message de Nolan et ne pas essayer de comprendre complètement puisque notre logique n'est pas utilisable avec ces théories! Le paradoxe c'est que ces théories complexes débouchent sur un scénario très prévisible. En effet, le paradoxe du grand-père énoncé dans le film ne peut être dépassé, c'est à dire que le retour dans le passé... ne change pas le passé. Autrement dit, la réalité ne peut être modifiée : la réalité une fois vécue reste la même car la réalité vécue comprend déjà en elle la conséquence d'un retour dans le passé. C'est ce que démontre explicitement la scène des camions. La voiture grise que le protagoniste utilisera lors de son retour dans le passé est déjà présente lors du premier passage filmé. C'est en fait la technique utilisée également dans Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban (ou le dernier Alice au Pays des Merveilles) qui permet d'éviter les incohérences temporelles : rien de nouveau donc (hormis pour le visuel le déplacement inversé). Le problème de Tenet contrairement aux autres films est que l'on sait de facto que le protagoniste et son équipe vont réussir à éviter l'apocalypse puisque l'apocalypse n'a pas eu lieu lors des vacances de Sator et de Kat au Vietnam. Si cette technique de voyage dans le temps ne gachait rien aux autres films, c'est parce qu'on ignorait que c'était ce choix de voyage dans le temps qui était fait. Tenet explique plus ou moins que c'est ce choix qui est fait (scène des camions) avant le climax... et il était évident que Nolan choisirait l'option qui ne créerait pas d'incohérence. Choix logique mais climax désamorcé pour ceux qui ont vu les ficelles. 

Un concept sans thématique

Toute l'idée de Tenet repose sur le concept de tenaille temporelle, c'est à dire un film qui présente des personnages de temporalités différentes dans un même instant dont certains allant vers le passé. Le film, comme son nom Tenet, est une sorte de palindrome (le mot se lit dans les deux sens). Au-delà du concept, qui oblige certes à réfléchir, le film est plutôt pauvre thématiquement. Il manque le côté incarné (le héros n'a pas de nom ni d'histoire) pour que des grandes questions sur la condition humaine (comme dans Interstellar ou la trilogie Batman) soient développées. Certes, Nolan essaye d'introduire une relation entre Kat et le protagoniste pour que le spectateur puisse se rattacher à une histoire mais celle-ci est plutôt peu développée. On peut même ressentir l'artifice du cinéma de Nolan qui est de trouver un concept et de broder une histoire autour. Ici, le concept prend toute la place et l'histoire est en retrait. Le film essaye pourtant dans son acte final de donner un argumentaire au grand méchant Sator, en lui prêtant des motivations écologiques. Néanmoins, celui-ci ayant été décrit comme un mafieux ultra-violent tout au long du film, ses intentions ne paraissent pas vraiment crédibles. La réponse du protagoniste n'est pas plus intelligente "chaque génération se démerde avec ses problèmes" : ce qui peut être compris comme le fait qu'il faut laisser une chance aux générations futures de régler leurs problèmes mais, aussi, l'idée qu'on n'a pas à se préoccuper des problèmes futurs... Un plus grand développement aurait été le bienvenu. En vérité, il manque certainement Jonathan Nolan au scénario qui sait amener des réelles questions philosophiques, incarnées par des personnages. Christopher est plus dans une logique pure et dans l'artifice du questionnement : par exemple ici l'idée que "l'ignorance est notre atout".  C'est évidemment contre-intuitif et faux comme principe général. Il faut alors comprendre cette maxime comme la marge de manoeuvre qu'il est possible d'avoir dans le passé, autrement dit, il n'est pas possible de changer ce qui a été vu dans le passé mais il est possible d'interragir dans la marge de la vérité que nous ignorions au moment où les faits se sont passés. Toutefois, retourner dans le passé ne permet pas de le changer mais de découvrir un pan du passé que nous ignorions et dans lequel le voyageur temporel joue un rôle. Néanmoins, cette maxime est, nous le voyons, un artifice car l'ignorance n'est pas un atout mais un motif pour avoir la foi. Elle permet simplement de ne pas être despéré car le tout est déjà déterminé (ce qui est appelé "le destin" dans le film, ou "la réalité" par Neil).  Cette question du déterminisme n'est en fait pas si compliquée ; c'est Christopher Nolan qui la rend complexe. Jonathan aurait problèment donné un véritable sens à la réflexion. 


En définitive, Christopher Nolan livre un film techniquement irréprochable et joue comme il aime le faire avec un concept retranscript au cinéma. Toutefois l'histoire a du mal à s'incarner autour du concept de physique quantique utilisé. Telles ses boucles temporelles, Nolan semble épuiser son cinéma en l'absence de son frère Jonathan au scénario. 



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